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Page:Louis Delaporte - Voyage d'exploration en Indo-Chine, tome 1.djvu/186

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Pnom Penh, où nous allions prendre définitivement congé de Sa Majesté Cambodgienne Noroudam.

De Compong Luong à Pnom Penh, la rive droite du bras du lac ne présente qu’une suite ininterrompue de jardins et de villages. Parmi ceux-ci, est Pignalu, siège de la mission catholique du Cambodge. Plusieurs évêques y ont été enterrés et, au dix-septième siècle, cette chrétienté servit de refuge à Paul d’Acosta, vicaire général de l’évêché de Malacca, après la prise de cette dernière ville par les Hollandais. Pignalu avait été en dernier lieu la résidence de Mgr Miche, évêque de Dansara, qui ne l’avait quitté que lors de sa promotion au siège épiscopal de Saïgon.

Vers midi, nous jetions l’ancre aux Quatre-Bras, un peu en amont de la pointe sur laquelle le roi Noroudam se faisait construire une habitation à l’européenne. Rien de plus vivant que l’aspect que présente cette partie du fleuve. Par sa position au confluent du grand fleuve et du bras du Grand Lac, Pnom Penh est appelé sans aucun doute à un immense avenir commercial, si la domination française s’implante d’une façon durable et intelligente dans ces parages. Cette ville comptait, dit-on, cinquante mille habitants avant son incendie par les Siamois, en 1834.

Sa population est une des plus mélangées de tout le delta du Cambodge. On y coudoie tour à tour des Annamites, des Cambodgiens, des Siamois, des Malais, des Indiens, des Chinois de toutes les provinces du Céleste Empire. Ceux-ci constituent, là comme partout, l’élément le plus actif et le plus commerçant, sinon le plus nombreux ; par rang d’importance viennent ensuite : les Annamites, qui fournissent tous les bateliers qu’emploient le trafic avec les provinces de la basse Cochinchine et la pêche du Grand Lac, et un grand nombre de petits boutiquiers ; les Malais, constitués en corporation puissante, et qui sont les principaux détenteurs des quelques marchandises européennes qui viennent faire concurrence aux importations analogues de la Chine ; enfin les indigènes. Sur le marché, les porcelaines, les faïences, la mercerie et la quincaillerie du Céleste Empire s’étalent à côté de quelques indiennes, de quelques cotonnades anglaises et de la bouteille de vermouth ou de liqueur qui caractérise plus spécialement la part de l’importation française.

Nous complétâmes sur le marché de Pnom Penh notre provision d’objets d’échange ; nous fîmes surtout une emplette considérable de fils de laiton de toutes dimensions, les Chinois en relations commerciales avec le Laos ayant indiqué cet article au commandant de Lagrée comme l’un des plus estimés dans la partie de la vallée du fleuve qui confine immédiatement au Cambodge.

Le 6, nous fûmes présentés par M. de Lagrée à Sa Majesté Cambodgienne, qui nous fit le plus brillant accueil et voulut bien nous donner la récréation d’un ballet exécuté par le corps entier de ses danseuses. Ce genre de spectacle est évidemment d’importation hindoue, comme en témoignent d’ailleurs les costumes des exécutantes. La danse, on le sait, est complètement étrangère à la race mongole, et les Chinois ne s’accommodent guère que de représentations historiques où les héros et les guerriers de l’antiquité viennent déclamer sur la scène le récit de leurs exploits.