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Page:Louis Delaporte - Voyage d'exploration en Indo-Chine, tome 1.djvu/301

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ment constater, au milieu des roches, l’existence d’un chenal profond, large de 50 à 60 mètres au moins, et où la vitesse du courant varie entre 4 et 6 milles à l’heure. Le chenal suit d’abord le milieu du fleuve, puis la rive droite dont il s’éloigne un peu en arrivant à Keng Taimépac. Il serait très-difficile de le repérer exactement au milieu des rochers qui l’encombrent.

De Ban Naveng à Kémarat, la direction du fleuve est l’O. 1/4 N.-O. et l’on rencontre les rapides Keng Nat ki khoai et Keng Kon ki lec. Le courant est rapide. On suit la rive droite et, sur une moitié environ de la largeur du fleuve, les roches disparaissent et le fond diminue. Le chenal se trouve près de la rive gauche.

En résumé, si dans l’espace étudié avec tant de soin par M. Delaporte, il n’y a nulle part de barrage complet et si la profondeur paraît partout suffisante, même aux plus basses eaux, pour un vapeur de dimension moyenne, la violence du courant et des remous et le bouleversement du fond sont tels que la route à suivre serait extrêmement difficile à baliser exactement et par suite fort dangereuse. Comme on l’a vu, cette partie du fleuve, malgré les difficultés de navigation qu’elle présente, n’en est pas moins praticable en tout temps pour les radeaux et les pirogues des indigènes.

Jusqu’à présent, l’expédition n’avait rencontré sur sa route aucune trace du passage ou de l’influence des Annamites ; dans la vallée du Se Cong même, où vit encore le souvenir de la domination cambodgienne, les Annamites, malgré leur proximité, paraissent n’avoir jamais joué de rôle politique. Au contraire, la rive gauche du fleuve, vis-à-vis de Kémarat, leur payait tribut, il y a quelques années. Il importait de reconnaître quelle avait été l’étendue de cette domination annamite, quelles traces elle avait laissées chez les populations, quelles causes avaient amené sa décadence. Tel fut le but que se proposa M.  de Lagrée, en allant explorer le bassin du Se Banghien, affluent de la rive gauche du fleuve, dont l’embouchure, comme nous l’avons vu, se trouve vis-à-vis de Kémarat.

M. de Lagrée partit de Kémarat à éléphant le 3 février, accompagné de l’interprète Séguin et d’un des tagals de l’escorte. Après avoir traversé le fleuve, il remonta la vallée du Se Banghien en suivant à grande distance la rive droite de ce cours d’eau qu’il rejoignit à Lahanam. Il parcourut jusque-là un pays désert, recouvert d’une forêt peu épaisse de Careya, arbres appelés Mai Chic en laotien, dont on extrait de la résine pour le calfatage des barques. Le bois sert aussi pour la construction des maisons[1]. Quelques mares presque à sec coupent çà et là la forêt, et leurs bords servent de lieu de halte aux voyageurs. À Lahanam, le Se Banghien a 300 mètres de large et une profondeur de 1 à 2 mètres. Les berges sont hautes et font supposer un marnage considérable. Le fond de la rivière est de grès. Lahanam est un grand village habité par des Pou Thaï, race d’origine laotienne, qui paraît s’être fixée dans le pays avant les Laotiens actuels.

Le lendemain, M. de Lagrée traversa deux fois le Se Banghien pour arriver à Muong

  1. L’écorce du Careya arborea sert dans l’Inde à faire des cordes et des mèches.