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Page:Louis Delaporte - Voyage d'exploration en Indo-Chine, tome 1.djvu/324

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NONG KAY. — COMMUNICATIONS AVEC POUEUN ET LE TONG-KING

par ordre du roi, dit Marini[1], d’un grand nombre de barques. Il chemina par eau pendant quinze jours, puis par terre pendant dix jours, avant d’entrer dans la province de Guiam (Nghe-an ?) qui appartient au Tong-king. La plus grande partie du pays qu’il traversa était une plaine sablonneuse et déserte, dans laquelle se trouve un étang dont l’eau est chaude et bouillonne quelquefois ; il y a là aussi des forêts où abondent les arbres qui produisent la cannelle et les clous de girofle. Outre les oiseaux habituels, on en voit qui sont d’une taille énorme et qui font en volant un bruit horrible ; les tigres y sont en quantité prodigieuse. Au delà de cette plaine, est une chaîne de montagnes appelée Rumoi, qui sépare le Laos du Tong-king. Le mont qu’il faut franchir pour passer d’un royaume à l’autre, est couvert d’une épaisse végétation et si élevé que l’on dit qu’autrefois on venait y entendre les paroles des habitants du ciel. Son ascension est des plus difficiles : il faut s’accrocher aux racines des arbres pour escalader les rochers[2]. De l’autre côté, on arrive à un poste de douane de la province de Guiam.

Le père Koffler, missionnaire qui a résidé en Cochinchine de 1740 à 1755, parle aussi[3] des hautes montagnes qui séparent la Cochinchine du Laos et des passages difficiles qu’elles offrent. À six lieues du Song Gianh est une caverne a stalactites où de petites barques peuvent pénétrer. Au delà est une plaine cultivée et arrosée par un fleuve large et profond où les poissons se prennent avec la main. La région voisine est déserte et sablonneuse, et les noirs habitants des montagnes l’appellent la terre des démons. La nuit, des flammes sortent du sol, et l’on entend des bruits terribles. Ces habitants, ajoute le père Koffler, sont de mœurs douces et franches, le roi de Cochinchine en fait sa garde et a plus de confiance en eux qu’en ses propres sujets. Mais ils tuent impitoyablement tous ceux qui les trompent. Quand les Cochinchinois manquent de franchise avec eux, ils interrompent le commerce et cessent de leur payer le tribut annuel. Tous les cinq ans, ils envoient une ambassade et des présents à la cour de Hué ; leurs ambassadeurs sont accompagnés d’une escorte de cinquante soldats bien armés et bien vêtus qui ne le cèdent en rien aux Annamites. Le roi de Cochinchine envoie quatre barques et cinq compagnies de soldats à leur rencontre. Ils parlent une langue peu différente de celle de la Cochinchine, et reconnaissent un bon et un mauvais génie.

Dans une lettre du père Lebreton, provicaire apostolique au Tong-king en 1786[4], il est question de l’émigration d’un certain nombre de chrétiens annamites dans le royaume laotien de Tran-ninh, qui se trouve au milieu d’une plaine très-cultivée, à un jour de marche d’une montagne très-haute et couverte de forêts, que l’on met une journée entière

  1. Delle missione de’ padri della Compagnia di Giesu nella provincia del Giappone e particolarmente di quella di Tunkino. Roma, 1663. Livre V, chap. xiii, p. 536 et suiv.
  2. Rumoi est évidemment une corruption de Moi, nom générique que donnent les Annamites à tous les habitants des montagnes, et en particulier aux sauvages qui habitent la grande chaîne. Comparez le passage des auteurs chinois, cité page 109 de cet ouvrage, et relatif au mont Mi-tan.
  3. Johannis Koffler, Cochinchinæ Descriptio in epitonem redacta ab Anselm, Eckart, Nuremberg, 1803, p. 27 et suiv.
  4. Nouvelles des missions orientales reçues au séminaire des Missions Étrangères, à Paris, en 1785 et 1786. Amsterdam, 1787, 1re partie, p. 160-166.