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Page:Louis Delaporte - Voyage d'exploration en Indo-Chine, tome 1.djvu/593

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firent dans le siècle suivant de l’histoire, de la littérature, de l’industrie, des ressources de cette grande nation confirma cette opinion en l’appuyant sur des chiffres et des faits précis. Les écrivains du dix-huitième siècle s’emparèrent avec empressement des arguments et des exemples de toute nature que venaient apporter à l’appui de leurs thèses économiques et philosophiques le long passé, jusque-là inconnu, et la constitution politique et sociale de trois cents millions d’hommes.

Mais l’engouement était allé trop loin ; une réaction devait se produire, et, à son tour, elle fut extrême. Les sages de l’Occident tremblèrent pour leur suprématie, qu’ils n’étaient point habitués à voir contester, et attaquèrent avec violence cette civilisation, dont les preuves n’étaient point, selon eux, assez faites. On nia l’antiquité et les origines de l’histoire des Chinois, on fit de leurs philosophes des copistes et de leurs savants des plagiaires. Pour la plus grande gloire de la race aryenne, ce fut de l’Inde que l’on fit venir leurs inspirations. Au point de vue politique, le revirement ne fut ni moins rapide, ni plus mesuré : les gouvernements européens apprirent bientôt à mépriser ce colosse devant lequel ils s’étaient trop longtemps humiliés ; peu s’en fallut qu’on ne traitât les Chinois de sauvages dignes tout au plus de remplacer les nègres dans nos colonies à sucre, et après avoir fait prosterner lord Macartney, en 1793, devant l’empereur Kien-long, l’Angleterre, en 1840, imposait à coups de canon, à son petit-fils, l’empoisonnement de l’opium.

D’ailleurs, pendant ces trois siècles, l’Europe a fait des progrès immenses et les termes de comparaison se sont déplacés. Habitué aux merveilles de l’industrie et de la science modernes, l’Européen qui visite aujourd’hui la Chine ne comprend plus l’enthousiasme de ses devanciers, et il éprouve une vive déception. Si un long séjour dans l’intérieur du pays a pour effet, comme nous l’avons remarqué plus haut, de prédisposer outre mesure en faveur de la civilisation chinoise, une rapide promenade sur les côtes ne la fait apercevoir au contraire que sous un jour défavorable. C’est malheureusement sur cette observation superficielle que la jugent aujourd’hui la plupart des voyageurs. Profondément imbus de l’idée de leur supériorité, érigeant en axiomes indiscutables leurs préjugés d’éducation et de race, ils ne trouvent que des ridicules à la surface de ce peuple dont la manière de vivre semble être l’exact contre-pied de la nôtre, et ils se contentent de rire, là où il faudrait observer longtemps et avec attention. Rien de moins intime, du reste, que les rapports des barbares avec les nationaux du Céleste Empire. Sur tous les points des côtes où se sont établis les Européens, ils ont formé des villes distinctes, où le Chinois n’est toléré que comme boutiquier ou comme homme de peine. Les deux civilisations vivent côte à côte sans se mélanger, sans se connaître, en antagonisme commercial qui les révèle l’une à l’autre sous leur plus mauvais jour, et il arrive bien souvent que l’Européen qui a vécu de longues années à Hong-kong ou à Shang-hai, est obligé, une fois rentré dans sa patrie, de chercher dans des livres ce qu’il doit penser de l’état social et politique du Céleste Empire.

Quand on étudie la législation chinoise, on est frappé de son caractère égalitaire et démocratique. Point de privilèges autres que ceux de l’intelligence et du travail ; le bonheur et le bien-être du plus grand nombre étaient déjà, à l’époque du déluge, la maxime des gou-