Aller au contenu

Page:Louis Delaporte - Voyage d'exploration en Indo-Chine, tome 1.djvu/594

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

vernants de la Chine. On peut dire que l’économie politique et sociale, science si récente chez les Occidentaux, a pris naissance chez les Chinois, et que leurs philosophes les plus complets n’ont été que des économistes. C’est à ce sens infiniment pratique, trait caractéristique de la nation chinoise, qu’il faut attribuer son rapide développement. Les spéculations métaphysiques, tout en dénotant une organisation plus élevée et un sens plus délicat du beau, ont égaré longtemps les nations occidentales à la recherche d’un idéal philosophique ou religieux, et leur ont fait consumer en vains efforts une activité et une intelligence qui, mieux dirigées, auraient pu leur conquérir une situation matérielle infiniment plus prospère. À côté des longues guerres et des luttes intestines qui désolaient l’Europe, la tranquillité et la richesse relatives du Céleste Empire ont frappé de bonne heure les écrivains et les philosophes : Théophylacte Simocatta, qui vivait au commencement du septième siècle, dit en parlant des Chinois : « Ce royaume n’est jamais troublé par des désordres intérieurs ; les lois sont justes, les habitants sont sobres et font un grand commerce. » — « Libre de ce despotisme militaire que le Musulmanisme a établi dans le reste de l’Asie, a écrit Abel Rémusat, ignorant l’odieuse division des castes qui forme la base de la civilisation indienne, la Chine offre à l’extrémité de l’ancien continent un spectacle propre à consoler des scènes de violence et de dégradation qui frappent les yeux partout ailleurs. »

Aussi, grâce aux ressources d’un climat qui se prête admirablement à toutes les cultures, et présente réunies les aptitudes de terroir les plus diverses, grâce à l’abondance et à la variété des matières premières fournies par ce vaste empire, l’agriculture et l’industrie des Chinois, favorisées dans leurs progrès par la stabilité et la sagesse des institutions politiques, ont atteint de bonne heure un degré de perfection auquel l’Occident n’est arrivé que beaucoup plus tard. Parvenus, alors que le reste de l’humanité était presque tout entier dans les langes de la barbarie, à un degré de supériorité et de civilisation si remarquable, environnés de peuples barbares, dont ils ont pu subir parfois la suprématie militaire, mais auxquels ils ont toujours fait accepter leurs lois, leurs mœurs, leur suprématie intellectuelle, les Chinois se sont crus autorisés à ce profond dédain, à ce mépris non déguisé qu’ils professent pour tout ce qui n’est point eux. Immobiles depuis des siècles, ils sont presque excusables de ne point s’être aperçus qu’autour d’eux tout avait progressé, et que les barbares d’autrefois étaient à présent leurs maîtres. Le système d’isolement pratiqué chez eux depuis si longtemps, après les avoir préservés des préjugés coupables et des superstitions cruelles du monde ancien, est devenu une barrière funeste qui les a séparés de la civilisation occidentale. Ils n’ont pas su la voir naître ; ils ne l’ont pas comprise dans ses premières manifestations : elle les enveloppe aujourd’hui de toutes parts et les écrasera, s’ils ne se laissent pas pénétrer par elle.

Dans ce malentendu persistant qui a plusieurs fois rompu les relations pacifiques entre l’Europe et la Chine, tous les torts sont-ils cependant du côté de cette dernière ? Non certes, et une étrange fatalité semble avoir pris à tâche de compromettre aux yeux des Chinois la religion et la civilisation européennes. — Nous avons déjà indiqué le côté tout positif, tout matérialiste, des principes de la philosophie chinoise. Une indifférence absolue