Page:Lourié - La Philosophie de Tolstoï.djvu/177

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peut faire jaillir de son âme une source vivante du beau et du bien. Je ne vois pas bien pourquoi le christianisme seul est capable de faire naître des « sentiments nouveaux ». Infinie aussi est la variété des sentiments nouveaux qui découlent de la bonté, de la tendresse, de la pitié, de la force morale. La nature offre à tout artiste sincère un répertoire infini des couleurs, des formes, des idées, c’est-à-dire de sentiments nouveaux. Est-ce que le sujet de la Sorbonne ou du Bois sacré de Puvis de Chavannes est moralement inférieur à celui de son Inspiration chrétienne ? Je ne pourrais comprendre pourquoi les œuvres de Beethoven, Lizst, Schumann, Chopin (Tolstoï fait exception pour son admirable Nocturne en mi bémol majeur), Wagner seraient inférieures aux Misérables de Victor Hugo que Tolstoï admire tant, ou aux Nouvelles de Dickens. Platon, Raphaël, Dante, Beethoven, Gœthe, chacun exprime sa pensée, ses sensations, ses impressions, chacun cherche la vérité à sa manière. Ce que nous demandons, avant tout, à l’artiste, c’est la sincérité. Tolstoï lui-même constate que c’est le degré de sincérité de l’artiste, qui détermine le degré de la contagion artistique. Dès que le spectateur, l’auditeur, le lecteur, devinent que l’artiste est lui-même ému par son œuvre, qu’il écrit, peint, joue pour lui-même, ils s’assimilent aussitôt les sentiments de l’artiste. On peut dire que la sincérité est la contagion essentielle de l’art. Si l’artiste est sincère, il nous donnera toujours, dans le domaine de l’art religieux ou de l’art profane, une profonde expression morale. C’est là, en somme, le désir de Tolstoï. « L’art, dit-il, doit être un organe