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LA PHARSALE.


tout à qui tient la glaive. Les dieux ne nous manqueront pas, car je ne vais conquérir ni butin, ni couronne ; nous allons affranchir Rome des tyrans qu’elle est prête à servir. »

Il dit ; mais la foule inquiète, incertaine, laisse échapper quelques sourds murmures ; la piété, l’amour de la patrie ébranlent même ces âmes endurcies par le meurtre et gonflées par l’orgueil ; mais bientôt la cruelle passion du glaive et la crainte du chef les rendent à César. Alors Lélius, premier centurion, paré de ses insignes et le front ceint de la couronne de chêne, récompense pour le salut d’un citoyen dans la mêlée, Lélius s’écrie : « Si tu veux m’écouter, gloire et soutien de Rome, et s’il m’est permis de faire entendre la vérité, nous nous plaignons. César, qu’une si longue patience ait retenu tes forces. Manquais-tu de confiance en nous ? Le sang bout encore dans ces veines pleines de vie ; nos bras robustes peuvent encore brandir les javelots, et tu souffres cette toge avilie et le règne du sénat ! Est-il donc si affreux de vaincre par une guerre civile ? Conduis-nous chez les peuples de la Scythie, sur les rivages des Syrtes inhospitalières, aux sables brûlans de l’aride Libye. Ce bras, pour laisser derrière toi le monde vaincu, a maîtrisé sous la rame les ondes mugissantes de l’Océan et brisé l’écume glacée du Rhin. Je dois pouvoir autant qne vouloir exécuter les ordres. César, quand tu sonnes la charge, il n’y a plus de Romain devant moi. J’en jure par tes aigles dix fois propices à nos armes, j’en jure par tes triomphes sur tant d’ennemis divers, si tu m’ordonnes de plonger le fer dans le cœur d’un frère, dans la gorge d’un père, ou dans les entrailles d’une épouse bientôt mère, je forcerai ma main à t’obéir. Faut-il dépouiller les dieux, incendier les temples ? La flamme du camp dévorera le sanctuaire de Junon Monéta. Faut-il dresser nos tentes sur les rives mêmes du Tibre toscan ? J’irai avec audace en tracer l’enceinte dans la campagne romaine. Quelles murailles veux-tu coucher sur le sol ? ce bras va mouvoir le bélier qui doit en disperser les pierres, qui doit ruiner cette ville condamnée, quand même tu nous dirais : À Rome. »

À ce discours, les cohortes applaudirent, et, les mains levées au ciel, s’offrirent à César pour le suivre en tous lieux. Ainsi l’air résonne lorsque le vent de Thrace plonge sur les collines boisées de l’Ossa : leur cime se courbe et se redresse en gémissant dans les airs.

César, voyant que le soldat s’élance avec joie vers la guerre, et que les destins l’entraînent, ne veut pas retarder la Fortune par des lenteurs, rappelle ses cohortes éparses dans la Gaule, lève tous ses drapeaux et court à Rome. On abandonne les tentes assises sur les bords escarpés du Léman, et les camps suspendus aux flancs sinueux du Vogèse[1] qui maintenaient les

  1. Les Vosges.