Page:Lucain, Silius Italicus, Claudien - Œuvres complètes, Nisard.djvu/60

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
48
LUCAIN.

dans les murs de la pairie ; mais en condamnant les sables de Phare à recevoir la cendre, ils font grâce à l’Hespérie. Fortune, cache ton forfait aux limites du monde ; que Rome soit conservée pure du sang de son Pompée.



CHANT TROISIÈME.

Cependant l’Auster plongeant dans les voiles qui cèdent, éloigne la flotte, et les vaisseaux tiennent la pleine mer. Tous les matelots se sont tournés vers les flots qui baignent l’Ionie. Seul, Pompée ne détache pas ses regards des bords hespériens, et voit s’effacer les ports de la patrie, ses rivages qu’il ne reverra jamais, et ses montagnes qui cachent dans les nuages leurs cimes incertaines. Enfin le chef abandonne au doux sommeil ses membres languissants. Alors, image d’épouvante et d’horreur ! Julie(1), pâle et sortant du sein de la terre béante, lui apparaît debout sur son bûcher : « Chassée des Champs Élyséens, de la demeure des âmes pieuses, » dit-elle ; « la guerre civile m’a rejetée dans les ténèbres du Styx, parmi les ombres coupables. J’ai vu les Euménides tenant déjà les torches qu’elles vont secouer sur vos armes : le nocher du brûlant Achéron prépare des barques sans nombre, le Tartare s’élargit pour punir tant de crimes : à peine toutes les Sœurs suffisent-elles à leur tâche ; leurs mains empressées se lassent à briser tant de trames. Quand j’étais près de toi, Pompée, tu menais de glorieux triomphes : en changeant d’épouse tu as changé de fortune. Condamnée par le destin à causer la ruine de tous ses maris puissants, Cornélie(2) est venue reposer dans ma couche, quand mes cendres fumaient encore. Qu’elle s’attache donc à tes pas, cette femme, et sur les mers et dans les camps, pourvu que je puisse troubler tes nuits sans sommeil, pourvu qu’il ne reste aucun instant à vos amoureuses ivresses, César occupant tes jours, Julie occupant les nuits. Époux ! les rives oublieuses du Léthé ne t’ont point effacé de ma mémoire ; les dieux des ténèbres m’ont permis de te suivre. Si tu marches aux combats, j’accours dans la mêlée : mon ombre, ô Pompée ! ne permettra jamais que tu cesses d’être le gendre de César. En vain tu tranches par le fer les nœuds qui nous enchaînent ; la guerre civile va te rendre à moi ! »

Ainsi l’ombre parle et s’échappe, fuyant les embrassements de son époux tremblant. Lui, quoique les mânes et les dieux le menacent, grandit devant le péril et court à la guerre, certain de son malheur. « Quoi ! dit-il, je serais effrayé d’un vain songe ! Ou la mort ne laisse rien de sensible aux âmes, ou la mort elle-même n’est rien. »

Non quia te Superi patrio privare sepulcro
Maluerint ; Phariæ busto damnantur arenæ :
Parcitur Hesperiæ ; procul hoc ut in orbe remoto
Abscondat Fortuna nefas, Romanaque tellus
Immaculata sui servetur sanguine Magni.

LIBER TERTIUS.

Propulit ut classem velis cedentibus Auster
Incumbens, mediumque rates tenuere profundum
Omnis in Ionios spectebat navita fluctus :
Solus ab Hesperia non flexit lumina terra
Magnus, dum patrios portus, dum littora numquam
Ad visus reditura suos ; Lectumque cacumen
Nubibus, et dubios cernit vanescere montes.

Inde soporifero cesserunt languida somno
Membra ducis : diri tum plena horroris imago,
Visa caput mœstum per biantes Julia terras
Tollere, et accenso furialis stare sepulcro.
« Sedibus Elysiis, campoque expulsa piorum
Ad Stygias, inquit, tenebras, manesque nocentes,
Post bellun civile trahor : vida ipsa tenentes
Eumenidas, quaterent quas vestris lampadas armis.
Præparat innumeras puppes Acherontis adusti

Portitor : in multas laxantur Tartara pœnas.
Vix operi cunetæ, dextra properante, Sorores
Sufficiunt ; lassant rumpentes stamina Parcas.
Conjuge me lætos duxisti, Magne, triumphos :
Fortuna est mutata toris ; semperque potentes
Detrahere in cladem fato damnata maritos,
Innupsit tepido pellex Cornelia busto.
Hærcat illa tuis per bella, per æquora signis,
Dum non securos liceat mihi rumpere somnos,
Et nullum vestro vacuum sit tempus amori,
Sed teneat Cæsarque dies, et Julia noctes,
Me non Lethææ, conjux, oblivia ripæ
Immemorem fecere tui, regesque silentum
Permisere sequi : veniam, te bella gerente,
In medias acies ; nunquam tibi, Magne, per umbras,
Perque meos manes genero non esse licebit.
Abscidis frustra ferro tua pignora : bellum
Te faciet civile meum. » Sic fata, refugit
Umbra per amplexus trepidi dilapsa mariti.

Ille, Dei quamvis cladem, manesque minentur,
Major in arma ruit, certa cum mente malorum.
Et, « Quid, ait, vani terremur imagine visus ?
Aut nihil est sensus animis a morte relictum,