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LA PHARSALE.


la digue qui s’écroule et ouvrent un chemin aux carènes. La baliste courbée par des mains vigoureuses, lance à travers la nuit des torches tournoyantes. Quand vint l’heure de sa fuite furtive, Pompée ne veut pas que le cri des marins réveille les rivages, que le clairon marque les heures, que la trompette rappelle aux vaisseaux les matelots avertis. Déjà la Vierge à son déclin allait céder Phébus à la Balance, quand les voiles se déploient en silence. Nulle voix ne se fait entendre : cependant on arrache l’ancre aux profondeurs des sables, les antennes s’inclinent, les mais se dressent vers le ciel : les pilotes se taisent, glacés de crainte ; elles matelots suspendus qui déroulent les voiles, n’ébranlent pas les solides agrès, craignant de faire frémir la brise. Fortune, le chef aussi t’adresse sa prière. Du moins laisse-le quitter l’Italie que tu ne lui permets pas de garder : à peine si les destins y consentent ! un long murmure retentit sur les ondes émues, heurtées par tant de proues, sillonnées par tant de vaisseaux confondus. Aussitôt l’ennemi, à qui Brundusium, dont la foi change avec la fortune, a livré ses portes et ses murs, se précipite à la hâte vers l’embouchure du port par les deux môles de son enceinte. II voit avec douleur que la flotte a gagné la pleine mer. Ô honte ! La fuite de Pompée, ce n’est qu’une petite victoire !

Les galères s’échappaient dans la mer par un étroit passage, moins large cpie les flots de l’Eubée qui se brisent devant Chaleis. Deux vaisseaux y restent engagés : les mains de fer sont prèles ; elles fondent sur eux, les entraînent vers le bord, et, pour la première fois, la guerre civile ensanglante l’empire de Nérée. Le reste de la flotte s’éloigne, laissant à l’ennemi les deux vaisseaux qui fermaient la retraite. Ainsi, quand le navire Thessalien faisait voile aux rives du Phase, la terre vomit du sein des flots les iles de Cyane ; Argo perdit sa poupe, mais échappa aux écueils ; le rocher ne frappa qu’un océan vide, puis redevint immobile.

Déjà l’orient, se parant île nouvelles couleurs, annonce l’approche de Phébus. Les lueurs vermeilles que remplacera la blanche Aurore, effacent l’éclat des étoiles voisines. Déjà la Pléiade pâlit, déjà l’Ourse fatiguée perd ses feux languissants dans l’azur du ciel, les grandes étoiles se cachent et Lucifer lui-même se dérobe aux rayons brûlants du jour. Pompée, tu liens la pleine mer ! Tes destins sont bien changés depuis le jour où tu poursuivais le pirate sur tous les flots. Lasse de tes triomphes, la Fortune t’a quitté. Chassé avec ta femme, avec tes enfants, traînant toute ta maison à la guerre, tu fuis, encore grand dans cet exil que les peuples accompagnent. Ainsi tu vas chercher sur des bords lointains et ta mort et ta honte. Ce n’est pas que les dieux veuillent le refuser un tombeau