soutenir que l’homme est un animal ridicule, et non pas l’âne, qui ne construit point de maison et ne navigue point ?
Le marchand. Voilà des enseignements admirables et d’une haute utilité. Je l’achète vingt mines[1].
[27] Mercure. Soit. Voyons, nous en reste-t-il quelque autre ? Ah ! ce sceptique. Ici, Pyrrhias[2] ; viens, que nous te mettions aussitôt en criée. On commence déjà à s’en aller ; les acquéreurs vont être en petit nombre. Allons ! Qui est-ce qui achète celui-là ?
Le marchand. Moi ! Mais, d’abord, dis-moi ce que tu sais.
Le philosophe. Rien.
Le marchand. Que veux-tu dire par là ?
Le philosophe. Que je ne crois à l’existence de rien.
Le marchand. Mais nous, que sommes-nous donc ?
Le philosophe. Je n’en sais rien.
Le marchand. Et toi, qu’es-tu ?
Le philosophe. Je n’en sais absolument rien.
Le marchand. Voilà un doute ! Que veulent dire ces balances ?
Le philosophe. Elles me servent à peser les raisons, et à juger de leur égalité. Quand j’ai vu qu’elles sont pareilles et au même niveau, alors je ne sais laquelle est la plus vraie.
Le marchand. Pour le reste, que sais-tu faire ?
Le philosophe. Tout, excepté poursuivre un esclave fugitif[3].
Le marchand. Et pourquoi cela ne t’est-il pas possible ?
Le philosophe. Parce que, mon ami, je ne puis le saisir.
Le marchand. Je le crois : tu me parais un garçon lourd et stupide. Mais enfin quel est le but de ta science ?
Le philosophe. L’ignorance ; je ne sais ni entendre ni voir.
Le marchand. Tu es donc sourd et aveugle ?
Le philosophe. Oui ; et, par là-dessus, dénué de sens et de jugement, en un mot, je diffère peu d’un ver.
Le marchand. Je veux t’acheter à cause de cela. Combien vaut-il ?
Mercure. Une mine attique[4].
Le marchand. La voici… Eh bien ! que dis-tu ? T’ai-je acheté ?
Le philosophe. Je n’en sais rien.
Le marchand. C’est sûr, pourtant ; je t’ai acheté et j’ai payé.