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LES AMOURS.

et de participer à l’administration des affaires de l’État, elles ne manqueraient pas, Chariclès, de te nommer prostate[1], ou général d’armée, et de t’élever sur toutes les places des statues d’airain. Quand on accorderait aux plus habiles d’entre elles la liberté de parler en public, je ne crois pas qu’elles défendissent leur cause avec autant de chaleur. Ni Télésilla, armée contre les Spartiates, et dont le courage fait compter Mars parmi les divinités des femmes[2] ; ni Sappho, cette douce gloire de Lesbos, ni la sage Théano, fille du sage Pythagore, ni peut-être Périclès pour Aspasie n’eussent parlé avec tant d’éloquence. Mais s’il sied à des hommes de prendre la défense des femmes, parlons à notre tour pour notre sexe. Ô Vénus, sois-moi propice ; et nous aussi nous adorons l’Amour.

[31] « Je croyais d’abord que notre différend ne passerait pas les bornes de la plaisanterie ; mais puisque mon adversaire appelle la philosophie au secours des femmes ; je saisis volontiers cette occasion de lui prouver que l’amour masculin est le seul qui puisse allier la volupté à la vertu. Je souhaiterais, s’il était possible, d’être assis sous le platane qui écoutait les discours de Socrate[3], arbre plus heureux que l’Académie et que le Lycée, ombrage heureux sous lequel reposait Phèdre, ainsi que nous l’apprend l’auteur divin que les Grâces ont comblé de leurs faveurs. Sans doute, comme le hêtre de Dodone, il ferait sortir de ses rameaux une voix sacrée, pour bénir nos amours masculins, au souvenir du beau Phèdre. Vain souhait,

        Puisqu’entre nous s’étend l’ombrage des montagnes[4],
                        Et le flot murmurant…

puisque nous sommes relégués sur une terre étrangère, et que Cnide favorise Chariclès. Cependant on ne me verra pas trahir lâchement la vérité.

[32] « Seulement, viens à mon aide, génie céleste, confident de l’amitié, hiérophante de ses mystères, Amour, non le perfide enfant que le pinceau des peintres s’amuse à représenter, mais celui que le principe de toute génération produisit parfait dès sa naissance. C’est toi qui, tirant l’univers de son obscure difformité, l’as revêtu de sa forme brillante : tu as soulevé, comme la pierre d’un tombeau, le chaos ténébreux où gisait le monde,

  1. Président, des juges.
  2. Voy. Milliet,Notice des poètes grecs, § 59.
  3. Voy. le commencement du Phèdre de Platon.
  4. Homère, Iliade, I, v. 156.