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LES AMOURS.

et tu l’as précipité dans les gouffres profonds du Tartare, où sont réellement

        Et des portes de fer et des seuils tout d’airain[1] ;

afin qu’enchaîné dans une prison sans issue, il ne puisse en revenir jamais ; puis, ton brillant flambeau dissipant la nuit obscure, tu es devenu le fabricateur suprême de tous les êtres animés ou inanimés. Mais tu t’es plu surtout à unir les hommes par les liens de la concorde, afin d’allumer dans les cœurs le feu sacré de l’amitié, et pour qu’une âme innocente et tendre, élevée sous l’abri de la bienveillance, parvînt à une parfaite virilité.

[33] « Le mariage est un remède inventé pour la perpétuité de l’espèce humaine : l’amour masculin exerce seul un noble empire sur le cœur d’un philosophe. De toutes les inventions, celles qui ont pour objet le luxe et le superflu sont plus estimées que celles qui sont le fruit du besoin, et partout la beauté l’emporte sur le nécessaire. Tant que les hommes furent ignorants et qu’ils n’eurent pas le loisir de chercher ce qu’il y a de meilleur au delà de l’expérience de chaque jour, contents du présent, ils ne s’attachaient qu’au nécessaire : l’urgence du temps les empêchait de trouver une plus heureuse manière de vivre. Mais quand les besoins les plus pressants furent satisfaits, le génie de la postérité, délivré des entraves du nécessaire, se sentit assez à l’aise pour inventer quelque chose de plus parfait ; de là le développement progressif des arts, dont nous pouvons juger par ceux qui sont encore dans l’enfance. Les premiers hommes étaient à peine nés, qu’ils cherchèrent un remède contre la faim de chaque jour. Pressés par ce besoin toujours présent, et l’indigence ne leur permettant pas de choisir une nourriture plus délicate, ils vivaient de la première herbe venue, arrachaient quelques racines tendres ou mangeaient le plus souvent le fruit du chêne. Bientôt après, ces aliments furent abandonnés aux animaux sans raison, et les soins du laboureur se tournèrent vers les semailles du froment et de l’orge, qu’il avait vu se renouveler tous les ans. Et qui serait assez fou pour préférer un gland à un épi ?

[34] « En outre, dans cette enfance du monde, le besoin de se couvrir ne commença-t-il pas par faire imaginer aux hommes d’écorcher des animaux pour se vêtir de leurs dépouilles ? Les cavernes des montagnes ne leur servaient-elles point d’asile contre le froid, ou bien quelque amas de vieilles racines, quel-

  1. Iliade, VIII, v. 15.