Page:Lucrèce, Virgile, Valérius Flaccus - Œuvres complètes, Nisard.djvu/107

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la terre, le ciel, la mer, les astres, le soleil, (5, 70) et le globe de la lune ; quels sont les êtres qui ont existé réellement, et ceux que la terre ne porta jamais. Je dirai comment le besoin de nommer les choses accoutuma les hommes à un échange de paroles articulées, et comment fut insinuée dans les âmes cette peur des immortels, sainte barrière qui défend, par tout le globe, les temples, les fontaines et les bois sacrés, les autels et les statues des dieux.

J’expliquerai aussi par quelle force la Nature plie et gouverne la marche du soleil et les révolutions de la lune, (5, 79) pour t’empêcher de croire qu’ils accomplissent librement et à leur gré leurs courses éternelles entre le ciel et la terre, qu’ils se prêtent eux-mêmes à la croissance des fruits, des animaux, ou qu’ils roulent sous une main divine. Car les hommes les mieux éclairés sur la vie paisible des immortels viennent-ils à s’étonner comment tout a lieu ici-bas, et surtout les phénomènes qui éclatent au-dessus de nos têtes dans les campagnes des airs, ils retombent aussitôt dans leurs vieilles superstitions, ils évoquent des maîtres impérieux, et leur attribuent la toute-puissance : pauvres fous (5, 90) qui ignorent quelle chose peut ou ne peut pas être, quelle loi borne la puissance des corps et leur trace de profondes limites.

Au reste, pour que nous cessions de t’arrêter aux prémisses, examine d’abord les ondes, la terre, le ciel : leur triple nature, leurs trois corps, ô Memmius, ces trois aspects si divers, ces trois vastes tissus, un jour livrera tout à la destruction ; et cette lourde machine du monde, demeurée tant de siècles inébranlable, s’écroulera.

Il ne m’échappe pas combien c’est une idée merveilleuse et neuve que la ruine future du ciel et de la terre, (5, 100) et combien j’aurai de peine à y réduire les intelligences. C’est ce qui arrive, quand on offre à l’oreille une vérité jusqu’alors inconnue, sans pouvoir la mettre sous les yeux, ni la faire toucher du doigt, ces deux voies de la persuasion les plus sûres, et qui aboutissent de plus près au cœur humain, au sanctuaire de la pensée. Je parlerai cependant : peut-être les faits eux-mêmes viendront-ils appuyer mes discours ; peut-être verras-tu avant peu la Nature bouleversée sous les affreuses tempêtes du sol. Puisse la Fortune, qui gouverne tout, éloigner ce désastre ! Puisse la raison, plutôt que l’événement, t’apprendre (5, 110) que le monde vaincu peut s’abîmer avec un horrible fracas !

Mais, avant que je ne révèle sa destinée par un oracle plus saint et plus infaillible que ceux que la Sibylle tire du trépied d’or et des lauriers d’Apollon, écoute de sages et consolantes paroles. Je ne veux pas que, sous le frein de la superstition, tu ailles croire que la terre, le soleil, le ciel, la mer, la lune, essences divines, sont impérissables, et que pour cela tu invoques mille supplices contre le forfait épouvantable de ces nouveaux Géants, (5, 120) qui ébranlent avec leurs systèmes les remparts du monde, qui veulent éteindre le soleil, flambeau des airs, et qui impriment le sceau de la mort à des choses immor-