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NOTES


SUR LE POËME DE LA NATURE DES CHOSES.


LIVRE PREMIER.


v. 1. Æneadum genetrix, hominum Divomque voluptas, Alma Venus. Quelques critiques n’ont vu qu’une grave inconséquence dans cette magnifique invocation. Ils la reprochent au poëte, comme un hommage involontaire qu’il rend à la Divinité. Ce reproche n’est pas sérieux : Lucrèce explique clairement son idée par ces vers du premier livre :

Quando alio ex alio reficit Natura, neque ullam
Rem gigni patitur, nisi morte adjutam aliena.

Vénus et Mars personnifiaient, en mythologie, la force qui tue et la force qui engendre : voilà pourquoi Lucrèce implore l’une pour tempérer l’autre. Au reste, il faut reconnaître en lui un double caractère. Comme poëte, il semble adopter quelquefois les idées théologiques de son temps ; comme philosophe, au contraire, il s’arme contre elles, et les combat de toute sa force. Sans cette distinction, plusieurs endroits de son poëme deviennent inintelligibles. Celui-ci, par exemple :

Usque adeo res humanas vis abdita quædam
Obterit, et pulchros fasces, sœvasque secures
Proculcare ac ludibrio sibi habere videtur !

Quelle est donc cette irrésistible et mystérieuse puissance ? On est tenté de croire qu’il y a sous ce mot vague un pressentiment du Dieu unique, du Dieu chrétien.

v. 57. Omnis enim per se Divom natura, necesse est. Lucrèce parle ici des intermondes, intermondia, où Épicure avait relégué les dieux. Il voulut ainsi les soustraire au péril d’être enveloppés dans les ruines du monde, disent Cicéron et Sénèque ; mais ils n’ont pas vu que, d’après le système de l’école, ces espaces intermédiaires n’étaient point un abri sûr, puisque c’était là justement que devaient se répandre les débris de l’univers.

Ne volucri ritu flammarum, mœnia mundi
Diffugiant subito, magnum per inane soluta.

Le véritable but d’Épicure était d’ôter à ces dieux le gouvernement de notre monde, en les plaçant hors de la sphère des événements humains.

Semota ab nostris rebus, secretaque longe.

v. 67. Primum Graius homo mortaleis tollere contra Est oculos ausus. Ce Grec fameux était Épicure. Il naquit, suivant les uns, à Gargette, bourg de l’Attique ; suivant les autres, à Samos, l’an 341 avant l’ère chrétienne. Sa famille est inconnue. Il s’adonna jeune encore à l’étude de la sagesse, qu’il puisa dans les écrits d’Anaxagore, de Démocrite, d’Archélaüs, le maître de Socrate, et qu’il enseigna d’abord à Mitylène, puis à Lampsaque. Il vint ensuite ouvrir une école dans Athènes. La pureté de ses mœurs, la hauteur de ses enseignements, et le charme de sa philosophie douce et naturelle, lui attirèrent bientôt de nombreux disciples ; mais il excita en même temps la haine jalouse des stoïciens, qui ne reculèrent devant aucun moyen pour le perdre. Il fut accusé comme Socrate. Plus heureux que cet illustre sage, il triompha de l’envie comme du fanatisme, et sa gloire en devint plus éclatante.

Vivre selon la nature, jouir dans la mesure de ses forces, rechercher avant tout ce calme, ce bien-être que procure la paix du cœur, unie aux lumières de l’intelligence, telle était en substance la doctrine d’Épicure. On sait combien sa morale a été depuis indignement méconnue et honteusement défigurée.

Il mourut à l’âge de 72 ans, des atteintes d’une lente et douloureuse maladie qu’il avait contractée dans sa jeunesse.

v. 118. Ennius ut noster cecinit. Ennius fut le premier qui éleva la poésie latine jusqu’à l’épopée. Il composa en outre des annales, des satires, des comédies, des tragédies, etc. ; mais il nous reste à peine quelques fragments de ses ouvrages. Le style en est barbare et rude comme l’époque où il vécut : il a pourtant de la hauteur, et il s’illumine çà et là d’un éclair de génie. Ovide l’a peint en ces termes :

Ennius, ingenio maximus, arte rudis.

Stace le caractérise plus énergiquement encore :

Musa rudis ferocis Enni.

v. 156. Quas ob res, ubi viderimus nil posse creari De nihilo. On regarde cet axiome fondamental, Ex nihilo nihil, comme un principe universellement adopté par les anciens. Cicéron écrit, dans son livre sur la Divination : Erit aliquid quod ex nihilo oriatur, aut in nihilum subito occidat ? Quis hoc physicus dixit unquam ? Aristote reconnaît aussi que tous les physiciens sont unanimes sur ce point : « ὀμογνωμονοῦσι τῆς δόξης ἄπαντες οἴ περὶ φυσέως. » Voici enfin les paroles de Burnet : Creatio et annihilatio, hodierno sensu, sunt voces fictitiæ neque enim occurrit apud Græcos, Hebræos el Latinos vox ulla singularis, quæ vim istam olim habuerit. On ajoute même que saint Jérôme regarde comme synonymes les mots creare, condere, formare. Cependant, si quelques philosophes d’autrefois n’eussent point admis l’idée d’une création absolue, telle que l’entendent les modernes, pourquoi Lucrèce se serait-il cru obligé d’établir le principe contraire sur tant de preuves ? Pourquoi tout cet appareil, pour démontrer une vérité universellement consentie ? D’ailleurs, que veut dire Sénèque, lorsqu’il met en problème si Dieu a fait lui-même la matière, ou s’il a travaillé sur une matière préexistante ? Materiem ipse situ formet, an data utatur ? Nat. Quæst., lib I, in præf.

v. 251. Postremo pereunt imbres, ubi eos pater Æther. Les anciens, dans leur vive et brillante imagination, donnaient une forme et un rôle à toutes les parties de la nature. Suivant eux, l’air était le père commun de tous les êtres : de là cette expression de pater Æther.

v. 272. Principio, venti vis verberat incita pontum. Cette magnifique description des ravages du vent a servi de modèle à Virgile, Géorg. liv. i, v. 316 sqq.

v. 316. Strataque jam volgi pedibus detrita viarum Saxea conspicimus. Ici le poëte nous fait entendre qu’aux portes de Rome étaient placées les statues des dieux tutélaires, dont la foule baisait en passant la main droite. Cicéron, dans un de ses plaidoyers contre Verrès, rapporte aussi que, sur une place d’Agrigente, la statue d’Hercule