Page:Lucrèce, Virgile, Valérius Flaccus - Œuvres complètes, Nisard.djvu/214

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d’osier les plus serrées, ou les couloirs de ton pressoir : emplis-les de ce mauvais terrain en y versant de l’eau douce : ensuite presse-le, tu verras toute l’eau filtrer au travers, et de grandes gouttes couler le long des baguettes de l’osier. Cette eau goûtée sera pour toi un sûr indice, et l'âcreté de ses sels piquera tes lèvres grimaçantes. Nous reconnaîtrons encore qu’une terre est grasse, quand, la secouant dans nos mains, elle ne se dissout pas, (2, 240) mais s’attache à nos doigts comme ferait la poix. Les terres humides nourrissent de hauts herbages ; elles sont trop fécondes : ah, redoutons cet excès d’abondance ! que nos premiers blés n’étalent pas une trop forte verdure ! Une terre lourde ou légère se connaît au poids : on a bientôt vu si elle est noire ou de toute autre couleur : c’est le froid meurtrier d’un fonds qui est difficile à connaître ; les seules traces qui en paraissent aux yeux, ce sont les pins, les ifs empestés, les lierres noirs, qui y croissent de temps en temps.

Ton sol reconnu, commence par le bien (2, 260) dompter, et par ouvrir des fosses espacées dans le versant des monts ; puis retourne la glèbe, et livre-la au souffle de l’aquilon : alors tu peux y enfouir les plants vifs de ta vigne : plus la terre est réduite, meilleure elle est : repose-t’en pour cela sur les vents et les frimas, et aussi sur les bras robustes du vigneron qui la retourne de fond en comble.

Mais ceux dont la vigilance n’est jamais en défaut choisissent, pour y transplanter leurs jeunes ceps, et pour les distribuer avec ordre, un terrain de même nature que le fonds d’où ils les ont tirés : ainsi le plant ne peut pas oublier tout à coup qu’il a changé de mère. Quelques-uns même marquent sur l’écorce des ceps la région des cieux qu’ils regardaient, (2, 270) afin de les rétablir dans leur exposition première, de tourner au midi le côté qui en recevait les chaleurs, au nord le côté qui voyait le nord : tant les habitudes de l'âge tendre ont de force ! Avant tout, examine lequel vaut mieux, de planter ta vigne sur les coteaux ou dans les vallées : si tu établis ton vignoble dans une grasse plaine, plante-le serré : les ceps, pour être ainsi pressés, n’en sont pas moins favorisés de Bacchus. Si tu plantes sur un sol montueux, et sur de hauts coteaux, donne davantage à la symétrie, et que tes ceps entrecoupés par des lignes égales forment un carré parfait. Ainsi, dans les grandes guerres, nous voyons se développer la longue file (2, 280) des légions, et les armées à découvert tenir toute la plaine ; les cohortes sont en ligne, et, aussi loin qu’elles s’étendent, la terre ondoie sous l’airain étincelant ; un horrible choc ne les a pas encore mêlées, mais des deux côtés Mars incertain promène le signal des batailles. Dispose ainsi tes ceps par intervalles égaux ; non pour repaître tes yeux du vain spectacle de la symétrie, mais afin que la terre partage également ses sucs à tous tes plants, et que leurs rameaux puissent s’étendre dans l’espace.

Tu me demanderas peut-être quelle doit être la profondeur de tes fosses : moi, je ne craindrais pas de planter ma vigne dans un simple sillon.