Page:Lucrèce, Virgile, Valérius Flaccus - Œuvres complètes, Nisard.djvu/467

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tous les miens. Ce cœur, ô nourrice, aime un tout autre objet que celui qu’il devrait aimer, et que pourrait couvrir une fausse apparence de piété filiale : c’est dans ce camp que sont mes amours, c’est au milieu de ces ennemis. Comment parler, hélas ? par quels termes commencer cet aveu de mes peines ? Que ne me laisses-tu dire, ô nourrice ! Ah ! reçois ce dernier gage de ta Scylla mourante. Cet ennemi, tu vois, qui tient nos murailles assiégées, à qui le père des dieux lui-même a donné le sceptre glorieux, (270) à qui les Parques elles-mêmes ont accordé d’être invulnérable (ah ! je m’emporte en de vains détours), Minos enfin, ce Minos assiège aussi mon cœur. Par les mille amours des dieux, par ces mamelles qu’a sucées ton enfant reconnaissante, si tu peux me sauver, ne me perds pas ! Mais si tout espoir de salut m’est retranché, ne m’envie pas, chère nourrice, la mort que je cherche. Car si un funeste, oh ! bien funeste hasard, ou un dieu ennemi, ne t’avait pas jetée devant moi, ma bonne Carmé, (280) ce fer (et en même temps elle découvre le fer caché sous sa robe) eût abattu le cheveu de pourpre qui orne la tête de mon père, ou fait entrer par une large blessure la mort dans mon sein. » À peine Scylla avait-elle prononcé ces mots, qu’épouvantée de l’affreuse catastrophe, la vieille nourrice traîne dans la poussière sa longue chevelure négligée, et répand sa profonde douleur en accents lamentables.

« Eh quoi ! cruel Minos, c’est donc encore toi que je retrouve, toi, qui vas être encore le fléau de ma vieillesse ; c’est toujours toi : jadis ton amour perdit ma fille ; il n’apporte aujourd’hui à celle que j’ai nourrie de mon lait que douleur et démence. (290) Ainsi, captive et emmenée si loin de ma patrie, après avoir souffert un si lourd esclavage et de si rudes travaux, je n’ai pu t’éviter, je n’ai pu arrêter la funeste ruine des miens. C’en est fait ! je ne peux plus même vivre de la vie à peine supportable de la vieillesse. Quand tu me fus ravie, Britomartis, ô Britomartis, unique espoir de ma vie, comment ai-je pu prolonger d’un jour mes tristes années ? Ah ! plût au ciel que jamais tu n’eusses, tant aimée de l’agile Diane, tendu sur l’arc des Parthes la flèche de Cnosse, et suivi, vierge virile, les chasseurs dans leurs courses ! (300) Aujourd’hui tu mènerais aux pâturages connus les chèvres crétoises ; tu ne te serais pas, fuyant d’une fuite si opiniâtre l’amour de Minos, précipitée de la cime aérienne des monts, ou, comme les uns le disent, tu n’aurais pas fui pour ne plus reparaître, et pour être appelée la vierge Aphée, ou encore pour être plus connue des mortels, en donnant à la Lune le nom de Dyctinne. Cela serait-il vrai, ô ma fille, tu n’en serais pas moins morte pour moi. Jamais je ne te verrai voler sur le sommet des monts avec tes compagnons hyrcaniens, et parmi les bêtes farouches ; jamais au retour je ne te serrerai dans mes bras. (310) Mais, ô Scylla ! ô mon enfant ! quand je ressentis dans mon cœur indigné ces coups cruels, l’espérance que j’avais placée en toi me restait entière, et le mot