Page:Lucrèce, Virgile, Valérius Flaccus - Œuvres complètes, Nisard.djvu/584

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leurs chevaux, (6, 510) se débattent péniblement, et remplissent l’air de gémissements interrompus. Vainqueurs au contraire, les Gélons chantent l’hymne de la patrie. Mais bientôt les vaincus prendront leur revanche ; un dieu leur a souri ; la bataille va changer de face.

Muse, rappelle-toi ces luttes furieuses, et dis-moi quel guerrier ramena la fortune et causa tant de nouveaux trépas ?

Ce fut Absyrte : on le reconnaît à son char, à son bouclier tout rayonnant des feux du Soleil, son aïeul. Quand il balance son javelot, quand il secoue son panache, les barbares ne peuvent supporter son aspect ; ils fuient épouvantés, tournant le dos aux traits qui les accablent, (6, 520) et augmentant le désordre par leurs clameurs confuses. Il s’élance, renverse des masses de combattants, foule aux pieds de ses chevaux des monceaux de cadavres, étouffe le dernier soupir de ceux qui râlent encore. Non moins terrible, Aron le suit : il porte sur sa cuirasse et sur ses brassards d’airain une chlamyde brodée à l’aiguille, à la façon des barbares, et dont les larges plis soulevés par le vent couvrent son cheval. Tel paraît Lucifer aux ailes de rose, quand Vénus se plaît à lui tracer la route à travers les voûtes étoilées.

Près de là Rhamélus et l’actif Otaxès (6, 530) avaient repoussé les Colchidiens. Un troisième était avec eux, l’ignoble Armès, lâche ravisseur de troupeaux, qui s’assurait l’impunité, en se hérissant le front de cornes comme le dieu de Lycée, et qui semait, à la faveur de cet étrange déguisement, le ravage et l’effroi parmi les pasteurs. Ce stratagème, dont il usait alors, étonnait ses ennemis et les intimidait. Dès qu’Aron a reconnu la ruse : « Crois-tu, dit-il à Armès, avoir affaire à des bergers craintifs, à de stupides troupeaux ? Tu n’es pas ici dans une étable, dans des pâturages. Garde ton déguisement pour tes larcins nocturnes. Cesse de te faire passer pour dieu ; quand tu le serais, je ne t’en délierais pas moins. » (6, 540) Il dit, et, se roidissant sur ses pieds, il lance son javelot. La dépouille du faux dieu tombe et laisse voir une large blessure.

Non moins audacieux, les fils de Phrixus signalent leur vaillance, et la déploient avec orgueil aux yeux des Grecs leurs parents, et des Colchidiens. Jason les voit au plus chaud de la mêlée, applaudit à leur intrépidité, et leur crie : « Courage, compatriotes, vous êtes bien de la race d’Éolus, et votre origine n’est pas douteuse. Je vous vois, et je suis assez payé de mes peines. »

(6, 550) Il dit, et Argus, agitant son bouclier, fond de toute sa hauteur sur Suétès et le grand Céramnus : il renverse l’un en lui brisant le genou, et fait dans la poitrine de l’autre une large ouverture ; il désarçonne et laisse étendus sur le sol Zacorus et Phalcès, éventre Amaster, qui, comme lui, combattait à pied, qui reçoit dans ses mains son sang et ses entrailles, et qui meurt en exhalant sa fureur impuissante.

Calaïs tue Barisas ; il tue Rhipée, soldat mercenaire et toujours à la solde de quelque nation voisine, qui s’était loué pour cent bœufs et autant de chevaux, (6, 560) et qui, frustré dans son attente, redemanda vainement au ciel, par un dernier re-