Page:Lucrèce, Virgile, Valérius Flaccus - Œuvres complètes, Nisard.djvu/69

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entendre les cris ou reconnaître le visage de ceux qui les rappellent au jour, (3, 470) et les environnent, la joue baignée de larmes. Avoue-le donc, elles tombent en ruines, ces âmes que gagne la contagion du mal. Car la douleur et la maladie sont deux artisans de mort : que de victimes ont pu déjà nous en convaincre !

Enfin, quand les fumées actives du vin pénètrent un homme, que son feu se répand et circule dans les veines, il appesantit les membres, il embarrasse le pied chancelant et la langue paresseuse ; l’âme est noyée de vapeurs, les yeux flottent ; les cris, les sanglots, les querelles éclatent, (3, 480) et avec eux tous les autres effets de la débauche. Pourquoi ces troubles, à moins que les attaques violentes du poison ne bouleversent habituellement nos âmes au fond des membres ? Or, tout désordre, tout embarras jeté dans un être, annonce qu’il ne faut que les atteintes d’un ennemi plus rude pour achever sa perte, et ravir son immortalité.

Souvent même, devant nos yeux, un homme dompté par la force du mal, et comme frappé de la foudre, tombe : il écume, gémit et tressaille des membres ; il extravague ; ses nerfs se raidissent, il se tord avec un souffle tourmenté, (3, 490) inégal, et fatigue son corps à le retourner sans cesse. C’est que la fougue du mal, répandue dans les organes, soulève les tempêtes de son âme, comme sur une mer écumante les ondes bouillonnent au choc impétueux des vents. Ces plaintes, la douleur les arrache, quand elle blesse les membres, quand elle chasse tous les éléments du son, qui se précipitent en foule par les voies accoutumées et les remparts de la bouche. Le délire vient de ce que l’esprit et l’âme sont bouleversés par ce fléau, dont le venin isole, partage, disperse leur action, comme tu le sais déjà. (3, 501) Puis, sitôt que le mal remonte vers sa source, que le flot rongeur des matières empoisonnées rentre dans le lit qui le cache, le malade, chancelant encore, se soulève : peu à peu il recouvre les sens et reprend possession de son âme.

Cet organe que des maux si terribles agitent au fond du corps, et qui souffre là de si cruels déchirements, espères-tu que, dépouillé du corps, il puisse subsister au grand air et parmi les orages ?

Et puis, nous voyons les âmes guérir comme les corps malades ; (3, 510) nous voyons que les remèdes peuvent en venir à bout : ce qui est un nouvel indice de leur existence périssable. Car il faut accroître, déplacer, ou appauvrir tant soit peu la masse des atomes, si tu entreprends, si tu essayes de modifier un esprit, ou que tu cherches à dompter une substance quelconque. Mais ce qui est immortel ne souffre ni transposition, ni accroissement, ni perte, puisque tout être qui sort de ses limites, et dépouille sa nature première, la frappe de mort.

(3, 520) Ainsi ton âme, je le répète, donne des signes de mortalité, soit que des maux la troublent ou