Page:Lucrèce, Virgile, Valérius Flaccus - Œuvres complètes, Nisard.djvu/94

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(4, 680) comme les formes élémentaires ; et voilà pourquoi, au sein des airs, le miel attire de si loin les abeilles, et un cadavre les vautours ; pourquoi les chiens, une fois leur nez subtil au vent, nous guident sur la trace des bêtes au pied fourchu ; pourquoi enfin les gardiennes du Capitole, les oies au blanc plumage, éventent la piste lointaine des hommes.

Ainsi tel odorat, donné à tel être, le conduit vers sa nourriture propre, le rejette loin du noir poison ; et cet instinct conserve toutes les espèces vivantes.

Quant aux odeurs mêmes qui vont assaillir les narines, (4, 690) il se peut que les unes aient un essor plus vaste que les autres ; mais aucune ne court aussi loin que le son, que la parole, ni surtout (ai-je besoin de le dire ?) que les images qui frappent les yeux et provoquent la vue. Car elles marchent errantes et lourdes ; et encore loin du but elles expirent peu à peu, éparpillées sur la molle vague des airs. Pourquoi ? D’abord, elles s’arrachent péniblement aux entrailles des êtres. Car les odeurs ne débordent, ne fuient point à la cime : toutes les substances le prouvent, alors que rompues, que broyées, que minées par le feu, elles jettent de plus fortes exhalaisons.

(4, 700) Ensuite, tu peux voir que leurs atomes sont moins fins que ceux de la parole ; car elles sont exclues des murailles, que percent aisément la voix et le son. De là vient que le corps odorant lui-même nous offre moins de facilité pour découvrir son asile : ses impressions se glacent, à force de traîner dans les airs, et ne volent point au sens avec de nouvelles toutes chaudes. Aussi les chiens, souvent égarés, vont-ils quêtant à la piste.

Du reste, cela ne se voit que dans les parfums ou dans le monde des saveurs. Toutes les couleurs (4, 710) ont-elles un rapport si harmonieux avec tous les organes, que les unes ne soient plus douloureuses à voir que les autres ?

Bien plus, dès que le coq [712], chassant la nuit au battement de ses ailes, appelle le jour de sa voix éclatante, les lions agiles sont incapables de lui tenir tête, de le regarder en face : tant ils songent alors à la fuite ! Oui, parce que la substance du coq renferme certains atomes qui, une fois dardés à l’œil des lions, percent les fibres, et y causent une douleur assez vive pour abattre ces fiers courages. (4, 720) Et pourtant les mêmes atomes ne blessent aucun homme : soit que nos yeux les repoussent, ou que, trouvant à leur entrée même des issues libres, ils ne puissent endommager par un long séjour aucune partie des organes.

Poursuis, et vois maintenant la nature des impressions, la source des idées qui arrivent aux intelligences : quelques mots suffisent [724].

J’affirme d’abord que toute sorte d’images errent à milliers de mille façons, et de toutes parts, en tous sens : images si déliées, que leur rencontre dans les airs suffit pour les attacher ensemble, comme les feuilles d’or, ou les fils d’araignée. (4, 730) Car les formes qui envahissent les yeux, qui harcèlent la vue, sont bien moins délicates que leur tissu, à elles, qui entrent par