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DE LA NATURE DES CHOSES

Il se sent dévorer. Comme si la mort vraie
Laissait un autre lui, debout quoique gisant,
Vivre mort et se voir et se pleurer absent !
Non, non ; hors de la vie, il n’est pas de torture.
Sinon partout la mort m’apparaît aussi dure :
Momie, être étouffé dans le naphte et le miel ;
920Mage, au haut d’un rocher, pourrir nu sous le ciel ;
Sur mon sein oppressé sentir peser la terre :
Qu’importe le supplice ? À moins qu’on ne préfère
La torche dévorante aux serres du corbeau,
Et le lit du bûcher à celui du tombeau !

Ah ! l’amoureux accueil de ta demeure en fête,
Ta femme, tes enfants, la volupté secrète
De les voir à l’envi courir pour t’embrasser,
De leur vouer ton cœur et ton nom, de verser
Ton sang pour eux, voilà la douceur de la vie,
Et la félicité qu’un seul jour t’a ravie !
Mais songe qu’au départ nul chagrin ne nous suit ;
Voyons clair une fois : et la terreur s’enfuit.
Toi, par la mort couché dans une paix profonde,
Tu nous laisses ta part des peines de ce monde ;
Mais nous, près du bûcher, sur ton corps déjà noir
Insatiablement nous pleurons, sans espoir
De retrouver l’objet d’un deuil irréparable.
Puis donc que ton sommeil n’est qu’à nous redoutable,
Que sa paix est la fin de toutes les douleurs,
 940Pourquoi ces longs effrois et ces lâches pâleurs ?

Sur leurs lits de festins, dans leurs coupes moroses,