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LIVRE QUATRIÈME

Est rompue à jamais dès que le corps et l’âme
À leurs germes premiers ont tous deux fait retour.
Et c’est pourquoi je dis que de chaque contour
Émanent des reflets, des pellicules frêles,
Feuilles sans épaisseur, décalques si fidèles
Qu’ils gardent à jamais l’apparence des corps
Dont leur volage écorce abandonna les bords.

L’esprit sans grand effort en conçoit l’existence :
Tant de corps sous nos yeux laissent fuir la substance,
Tantôt en flots épars que l’on voit ondoyer
Comme fait la fumée ou l’éclat du foyer,
Tantôt même en tissus membraneux et solides,
Étuis que le veau crève en naissant, chrysalides
Que la cigale écarte et dépose au printemps,
60Fourreaux que les buissons arrachent aux serpents,
Dépouilles de l’hiver, dont les vieilles écailles
Voltigent dans les champs ou pendent aux broussailles !
Pourquoi donc aussi bien tout corps ne pourrait-il
De sa surface émettre un décalque subtil ?
Partout vous constatez ces pertes de matière ;
Et les grains les plus fins, l’impalpable poussière
Qu’à peine un fil retient sur le relief des corps,
Ne pourraient les premiers en déserter les bords ?
Non ; placés comme ils sont sur l’extrême limite,
Leur petitesse même accélère leur fuite.
Sans changer d’ordre entre eux, ils volent, conservant
L’image de l’objet auquel les prit le vent.
Si des émissions sortent du fond des choses,
Nous en voyons aussi de leur surface écloses.