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XXXIII
PRÉFACE

leurs densités diverses, carrière sans borne ouverte à l’activité universelle. Au premier abord, il semble que Lucrèce, moins heureux ici que dans son explication du temps, attribue à l’espace, c’est-à-dire au rapport abstrait des positions occupées par les corps, une existence propre et réelle. Et il est bien vrai qu’il ne s’est point gardé de cette erreur ; il croit à l’étendue en soi ; mais il y croit parce que les faits, tels qu’il a pu les observer, lui en démontrent la réalité. Tout ce que nous expliquons aujourd’hui par l’électricité et par la raréfaction de certains corps, il l’explique, lui, et avec beaucoup de vraisemblance, par les doses inégales de vide contenues dans la trame des êtres. Le plaisir qu’on éprouve à suivre ses ingénieuses déductions (I, 330-440) doublera si l’on veut bien oublier le terme impropre qu’il applique à l’un des plus grands desiderata de la science. Il est convenu aujourd’hui que le Vide n’existe pas : on sait que l’espace est aux corps ce que le temps est aux faits, un rapport, une abstraction de notre cerveau. Mais nous n’en sommes pas moins forcés d’admettre entre les choses et dans leur tissu, puisqu’aucune molécule n’en touche une autre, ce libre milieu supposé par Lucrèce. Où Lucrèce a vu le Vide, c’est-à-dire rien, nous plaçons quelque chose : mais ce quelque chose équivaut à ce rien. Bien plus, ce quelque chose est au-dessous, au delà de rien. Il est plus subtil que le vide le plus parfait obtenu par nos machines pneumatiques : il est impondérable. Au Vide lucrétien substituez par la pensée l’Éther de nos savants, et