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Page:Lucrèce - De la nature des choses (trad. Lefèvre).djvu/58

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LII
PRÉFACE

nements de la pensée humaine. L’étonnement et la curiosité de l’ignorance enfantèrent les dieux, d’abord dispersés dans l’univers entier partout où l’esprit se heurtait au mystère, puis groupés dans le ciel où sont les astres, refuge de la divinité qui recule et s’évanouit devant la science. Ô misérable espèce humaine, s’écrie le poète, quand tu as attribué tes passions, tes caprices et tes rancunes à ces fils de ton illusion, que de gémissements et de larmes tu nous préparais ! Est-ce qu’il y a de la pitié dans l’adoration d’une pierre voilée ou d’une statue, dans les prosternements et les sacrifices sanglants. La sagesse, c’est la sérénité croissante en face de l’univers.


Il est doux, quand les vents troublent au loin les ondes,
De contempler du bord sur les vagues profondes
Un naufrage imminent. Non que le cœur jaloux
Jouisse du malheur d’autrui ; mais il est doux
De voir ce que le sort nous épargne de peines.
Il est doux, en lieu sûr, de suivre dans les plaines
Les bataillons livrés aux chances des combats
Et les périls lointains qu’on ne partage pas.
Mais rien n’est aussi doux que d’établir sa vie
Sur les calmes hauteurs de la philosophie,
Dans l’impassible fort de la sérénité ;
De voir par cent chemins l’errante humanité
Chercher, courir, lutter de force et de génie,
Consumer en labeurs la veille et l’insomnie,
Monter de brigue en brigue aux échelons derniers,
Et s’asseoir au sommet des choses, sous nos pieds !
 

Il ne faut point dissimuler que la sérénité de Lucrèce est mêlée d’une dédaigneuse tristesse.