Page:Luzel - Cinquième rapport sur une mission en Basse-Bretagne, 1873.djvu/26

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voyais au-dessus de chacun d’eux un ange qui lui tendait les bras, pour l’emmener en paradis. »

Le roi prit alors la parole et, s’adressant à la Santirine : « Et pourquoi avez-vous ri aussi, Sandrine, en regardant la reine à son balcon, quand vous êtes entrée dans la cour du palais ? »

Et la Santirine répondit : « Je dirai la vérité jusqu’au bout, tant pis pour ceux qui s’en fâcheront. Si j’ai ri, sire, en voyant la reine à son balcon, c’est parce que vous croyez tous que ces deux suivantes qui ne la quittent jamais sont des femmes, et moi je sais que ce sont des hommes ! » Et voilà tout le monde étonné, le roi furieux, et la reine et ses suivantes toutes troublées. La Santirine reprit : « J’ai encore une vérité à vous dire : c’est que vous croyez tous que le capitaine Lixur, qui m’a prise et amenée ici, est un homme, et moi je vous assure que c’est une jeune fille ! — Tout cela sera vérifié sur-le-champ ! » s’écria le roi.

Et l’on fit venir des médecins, qui visitèrent d’abord les deux suivantes de la reine, et, comme c’étaient des hommes, ils furent trouvés hommes ; puis ils visitèrent le capitaine Lixur, et, comme c’était une fille, elle fut aussi trouvée fille.

Alors le roi, furieux, fit chauffer un four, et on y jeta la reine et ses deux amants. Puis il épousa le capitaine Lixur.


La Santirine, que mon conteur prenait pour un monstre terrible, sans pouvoir pourtant rien préciser sur sa forme ni sa nature, est une corruption du mot Satyre. Il y a dans ce conte de vagues souvenirs de Merlin et de Viviane. L’épisode du bedeau qui chante, et du père supposé qui pleure, au convoi de l’enfant, se retrouve absolument comme ici, dans le roman de Merlin, de Robert de Borron.

Dans une autre version bretonne, l’héroïne, toujours déguisée en homme, arrive à la cour du roi avec six compagnons merveilleusement doués, et qui l’aident dans l’accomplissement de ses travaux ; mais la Santirine, ou le Satyre, ne paraît pas dans cette version.

Le même conte a été recueilli par les frères Grimm, sous le titre de : les six compagnons qui viennent à bout de tout. Le chevalier Fortuné de Mme d’Aulnoy en est aussi une version. Il se trouve également dans Straparole, nuit IV, fable I, sous ce titre : Richart, roy de Thèbes, avait quatre filles, l’une desquelles s’en alla vagabonde par le monde, et de Constance se fit appeler Constantin, et arriva à la cour de Cacus, roy de Bettinie, lequel, pour ses prouesses et bonnes conditions, la prit en mariage.