Page:Mémoires de l’Académie des sciences, Tome 1.djvu/82

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toutes les critiques de l’anonyme, et nous avons vu avec plaisir qu’elles ne portent que sur la partie métaphysique du traité de Stévin, métaphysique que nous n’avons aucune envie de défendre, et sur laquelle on pourrait sans inconvénient donner gain de cause à l’anonyme. Il pourrait bien s’être trompé pourtant quand il a soutenu, contre l’idée de Stévin, que les géomètres grecs n’avaient été nullement guidés dans leurs recherches par la considération des nombres et des radicaux, et qu’ainsi on ne peut leur reprocher d’avoir supprimé ces nombres, dont réellement ils n’auraient fait aucun usage ; mais quoique nous soyons bien tentés de donner la préférence à l’opinion de Stévin sur celle de l’anonyme, comme nous n’avons pas plus que lui de raisons positives à produire à l’appui de notre conjecture, nous ne nous arrêterons pas à discuter cette question[1].

  1. Nous disons qu’il nous serait difficile de donner des raisons positives pour prouver que les Gre ont formé leurs lignes d’après les considération des nombres ; mais nous avons au moins de fortes probabilités. Les lignes se divisent en deux ordres ; elles sont, ou ne sont pas, entre elles comme nombre à nombre, Euclide n’en considère pas d’autres. Quoi de plus naturel, en ce cas, que d’exprimer les unes par des nombres, et les autres par des radicaux. Mais le signe radical manquait à la géométrie des Grecs. Cette notation eût tout simplifié. Nous pourrions encore argumenter des expressions d’Euclide ; il appelle ῥητἠ dicible, exprimable la ligne que les traducteurs désignent moins exactement par le mot rationnelle ; il appelle ῥητόν un rectangle qui peut s’exprimer par des nombres ; n’est-il pas évident qu’en définissant ses lignes, par-tout il songeait aux nombres. Mais pour donner des théorêmes plus généraux il a exprimé ses nombres par des lignes. Que ne les exprimait-il par des lettres ? Cette idée aurait pu le conduire à la découverte de l’algèbre. Mais les lettres grecques servaient déjà à l’arithmétique, il aurait fallu inventer d’autres caractères pour l’algèbre et c’est peut-être ce qui a empêché les Grecs de faire cette importante découverte.

    L’anonyme avoue lui - même que la vérité des théorêmes qui se rapportent aux congruentes se reconnaît bien plus facilement en nombres qu’en lignes, et il donne de ces congruentes une idée beaucoup plus nette que celle qu’on peut recueillir des expressions d’Euclide, qui emploie ce terme sans le définir.