Page:Mémoires de l’Académie des sciences, Tome 52.djvu/94

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
XLVI
NOTICE SUR LA VIE ET LES TRAVAUX

c’est la Bibliothèque de la ville qui lui remplaça le collège. Il en devint pour un temps l’hôte assidu, et solitaire, car elle était abandonnée de tous, même de son gardien. Là, pour dire de lui ce qu’il a dit plus tard de son ami et contemporain Balard, an même âge et dans des conditions analogues, « il vivait au milieu des grands écrivains de la France, il se familiarisait avec les hautes pensées de la morale, avec les méthodes de la logique, aussi bien qu’avec les jeux de l’imagination et les finesses de l’esprit ; il apprenait et retenait des pièces tout entières. Ces lectures abondantes, cette appréciation personnelle de chacune d’elles, cette habitude de suivre patiemment un auteur dans les développements auxquels il se livre, semblent mieux faites pour créer des inventeurs pénétrants et des esprits vigoureux qu’une éducation qui, voulant tout embrasser, ne pouvant rien approfondir, se borne à faire lire aux jeunes gens quelques pages d’élite et les oblige à accepter, sur l’œuvre entière qu’ils ignorent, des jugements tout faits qu’ils ne sauraient contrôler ».

Tout avantageuse qu’elle fut à la formation de son esprit, cette situation ne pouvait pourtant pas durer ; il fallait songer à gagner sa vie. C’est alors que, sur les conseils d’un parent de Montpellier, Étienne Bérard, savant industriel, ami de Chaptal, il entra comme apprenti dans une pharmacie d’Alais. Apprenti pharmacien ! comme avant lui Scheele, en même temps que lui Balard et Liebig, après lui Claude Bernard. Dès le matin, il ouvrait la boutique, lavait les vitres, balayait à terre, époussetait les flacons puis, tout le jour, il pilait les drogues, roulait les pilules, pulvérisait la rhubarbe : en un mot, il avait la charge de tous les travaux mécaniques de l’officine. Le moyen, avec tout cela, d’étudier la pharmacie et surtout de satisfaire le besoin impérieux qu’il éprouvait de compléter son éducation scientifique, que les circonstances avaient laissée si imparfaite ! Aussi en souffrait-il et s’en plaignait-il amèrement. D’autre part, son pays était à cette époque profondément troublé par des divisions politiques et religieuses,