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LA PRINCESSE CHARLOTTE

à craindre d’un travail qui durait depuis soixante heures.

La faculté, réunie dans les pièces voisines, demandait à entrer chez la princesse. Elle s’y refusait péremptoirement, et l’inexpérience du prince, trompé par Crofft, l’empêcha de l’exiger. Enfin, elle mit au monde un enfant très bien constitué et mort uniquement de fatigue ; l’épuisement de la mère était extrême. On la remit au lit. Crofft assura qu’elle n’avait besoin que de repos ; il ordonna que tout le monde quittât sa chambre. Une heure après, sa garde l’entendit faiblement appeler :

« Faites venir mon mari, » dit-elle, et elle expira.

Le prince, couché sur un sopha dans la pièce voisine, put douter s’il avait reçu son dernier soupir. Sa désolation fut telle qu’on peut le supposer ; il perdait tout.

Je ne sais si, par la suite, le caractère de la princesse Charlotte lui préparait un avenir bien doux ; mais elle était encore sous l’influence d’une passion aussi violente qu’exclusive pour lui, et lui en prodiguait toutes les douceurs avec un charme que ses habitudes un peu farouches rendaient encore plus grand.

Il l’apprivoisait, s’il est permis de se servir de cette expression ; et les soins qu’il lui fallait prendre pour adoucir cette nature sauvage, vaincue par l’amour, devaient, tant qu’ils étaient accompagnés de succès, paraître très piquants. On voyait cependant qu’il lui fallait prendre des précautions pour ne pas l’effaroucher et qu’il craignait que le jeune tigre ne se souvînt qu’il avait des griffes.

La princesse aurait-elle toujours invoqué cette loi de droit naturel, qui soumet la femme à la domination de son mari ? Je me suis permis d’en douter ; mais, au moment où elle me l’assurait, elle le croyait tout à fait, et peut-être le prince le croyait aussi. Probablement, après