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MÉMOIRES DE MADAME DE BOIGNE

l’avoir perdue, il n’a retrouvé dans sa mémoire que les belles qualités de sa noble épouse.

Il est sûr que, lorsqu’elle voulait plaire, elle était parfaitement séduisante. Avec tout ses travers, rien ne peut donner l’idée de la popularité dont elle jouissait en Angleterre : c’était la fille du pays. Depuis sa plus petite enfance, on l’avait vue élever comme l’héritière de la couronne ; et elle avait tellement l’instinct de ce qui peut plaire aux peuples que les préjugés nationaux étaient comme incarnés en elle.

Dans son application à faire de l’opposition à son père, elle avait pris l’habitude d’une grande régularité dans ses dépenses et une extrême exactitude dans ses payements. Lorsqu’elle allait dans une boutique à Londres et que les marchands cherchaient à la tenter par quelque nouveauté bien dispendieuse, elle répondait :

« Ne me montrez pas cela, c’est trop cher pour moi. »

Cent gazettes répétaient ces paroles, et les louaient d’autant plus que c’était la critique du désordre du Régent.

Claremont faisait foi de la simplicité dont la princesse affectait de donner l’exemple. Rien n’était moins recherché que son mobilier. Il n’y avait d’autre glace dans tout l’appartement que son miroir de toilette et une petite glace ovale, de deux pieds sur trois, suspendue en biais dans le grand salon. Les meubles étaient à l’avenant du décor.

Je vois d’ici le grand lit, à quatre colonnes, de la princesse. Les rideaux pendaient tout droit sans draperies, sans franges, sans ornements ; ils étaient de toile à ramages doublés de percale rose. Nul dégagement à cette chambre où des meubles, plus utiles qu’élégants, deux fois répétés, prouvaient les habitudes les plus conjugales, selon l’usage du pays.