Aller au contenu

Page:Mémoires du Baron de Marbot - tome 1.djvu/119

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
99
FAMINE ET COMBATS.

de l’armée française, et qu’en définitive, il valait mieux mourir en combattant, que de mourir de faim après avoir vu succomber leurs femmes et leurs enfants. Ces symptômes de révolte étaient d’autant plus effrayants, que s’ils se fussent réalisés, les Anglais par mer et les Autrichiens par terre seraient indubitablement accourus joindre leurs efforts à ceux des insurgés pour nous accabler.

Au milieu de dangers si imminents et de calamités de tous genres, le général en chef Masséna restait impassible et calme, et pour éviter toute tentative d’émeute, il fit proclamer que les troupes françaises avaient ordre de faire feu sur toute réunion d’habitants qui s’élèverait à plus de quatre hommes. Nos régiments bivouaquaient constamment sur les places et dans les rues principales, dont les avenues étaient munies de canons chargés à mitraille. Ne pouvant se réunir, les Génois furent dans l’impossibilité de se révolter.

Vous vous étonnerez sans doute que le général Masséna mît tant d’obstination à conserver une place dont il ne pouvait nourrir la population et sustenter à peine la garnison. Mais Gênes pesait alors d’un poids immense dans les destinées de la France. Notre armée était coupée ; le centre et l’aile gauche s’étaient retirés derrière le Var, tandis que Masséna s’était enfermé dans Gênes pour retenir devant cette place une partie de l’armée autrichienne, l’empêchant ainsi de porter toutes ses forces sur la Provence. Masséna savait que le premier Consul réunissait à Dijon, à Lyon et à Genève, une armée de réserve, avec laquelle il se proposait de passer les Alpes par le Saint-Bernard, afin de rentrer en Italie, de surprendre les Autrichiens et de tomber sur leurs derrières, pendant qu’ils ne s’occupaient que du soin de prendre Gênes. Nous avions donc un immense intérêt à conserver cette ville le plus longtemps possible, ainsi que le prescrivaient les