Aller au contenu

Page:Mémoires du Baron de Marbot - tome 1.djvu/120

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
100
MÉMOIRES DU GÉNÉRAL DE MARBOT.

ordres du premier Consul, dont les prévisions furent justifiées par les événements. Mais revenons à ce qui m’advint pendant ce siège mémorable.

En apprenant qu’on avait transporté à Gênes mon père blessé, Colindo Trepano accourut auprès de son lit de douleur, et c’est là que nous nous retrouvâmes. Il m’aida de la manière la plus affectueuse à soigner mon père, et je lui en sus d’autant plus de gré, qu’au milieu des calamités dont nous étions environnés, mon père n’avait personne auprès de lui. Tous les officiers d’état-major reçurent l’ordre d’aller faire le service auprès du général en chef. Bientôt on refusa des vivres à nos domestiques, qui furent contraints de prendre un fusil et de se ranger parmi les combattants pour avoir droit à la chétive ration que l’on distribuait aux soldats. On ne fit exception que pour un jeune valet de chambre nommé Oudin et pour un jeune jockey qui soignait nos chevaux ; mais Oudin nous abandonna dès qu’il eut appris que mon père était atteint du typhus. Cette affreuse maladie, ainsi que la peste avec laquelle elle a beaucoup d’analogie, se jette presque toujours sur les blessés et sur les individus déjà malades. Mon père en fut atteint, et dans le moment où il avait le plus besoin de soins, il n’avait auprès de lui que moi, Colindo et le jockey Bastide. Nous suivions de notre mieux les prescriptions du docteur, nous ne dormions ni jour ni nuit, étant sans cesse occupés à frictionner mon père avec de l’huile camphrée et à le changer de lit et de linge. Mon père ne pouvait prendre d’autre nourriture que du bouillon, et je n’avais pour en faire que de la mauvaise chair de cheval ; mon cœur était déchiré !…

La Providence nous envoya un secours. Les grands bâtiments des fours publics étaient contigus aux murs du palais que nous habitions ; les terrasses se touchaient.