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Page:Mémoires du Baron de Marbot - tome 1.djvu/126

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MÉMOIRES DU GÉNÉRAL DE MARBOT.

à Gênes, où il faisait un petit commerce. Il alla le voir et fut frappé, en entrant chez lui, de sentir l’odeur que répand la boutique d’un épicier. Il en fit l’observation à son ami, en lui disant : « Tu as des provisions ?… » Celui-ci en convint en lui demandant le secret, car les provisions de tout genre qu’on découvrait chez les particuliers étaient enlevées et transportées dans les magasins de l’armée. L’intelligent Bastide offrit alors de lui faire acheter la portion de denrées qu’il aurait de trop par quelqu’un qui le solderait sur-le-champ et garderait un secret inviolable, et il vint m’informer de sa découverte. Mon père avait laissé quelques milliers de francs. J’achetai donc et fis porter de nuit chez moi beaucoup de morue, de fromage, de figues, de sucre, de chocolat, etc., etc. Tout cela fut horriblement cher ; l’Auvergnat eut presque tout mon argent, mais je m’estimai trop heureux d’en passer par où il voulut, car, d’après ce que j’entendais dire journellement au quartier général, le siège devait être encore fort long, et la famine aller toujours en augmentant, ce qui, malheureusement, se réalisa. Ce qui doublait le bonheur que j’avais eu de me procurer des subsistances, c’était la pensée que je sauvais la vie de mon ami Colindo qui, sans cela, serait littéralement mort de faim, car il ne connaissait dans l’armée que moi et le colonel Sacleux, qui ne tarda pas à être frappé d’un affreux malheur ; voici en quelles circonstances :

Le général Masséna, attaqué de toutes parts, voyant ses troupes moissonnées par des combats continuels et par la famine, obligé de contenir une population immense que la faim poussait au désespoir, se trouvait dans une position des plus critiques, et sentait que pour maintenir le bon ordre dans l’armée, il fallait y établir une discipline de fer. Aussi tout officier qui n’exécutait