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Page:Mémoires du Baron de Marbot - tome 1.djvu/132

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MÉMOIRES DU GÉNÉRAL DE MARBOT.

relayaient pour nous tenir constamment sous les armes. En effet, les premiers nous attaquaient dès l’aurore du côté de terre, nous combattaient toute la journée et allaient se reposer la nuit, pendant que la flotte de lord Keith venait nous bombarder, et tâchait de s’emparer du port à la faveur de l’obscurité, ce qui forçait la garnison à une grande surveillance de ce côté et l’empêchait de prendre le moindre repos. Or, une nuit que le bombardement était encore plus violent que de coutume, le général en chef Masséna, prévenu qu’à la lueur des feux de Bengale allumés sur la plage, on apercevait de nombreuses embarcations anglaises chargées de troupes s’avançant vers les môles du port, monta sur-le-champ à cheval avec tout son état-major et l’escadron de ses guides qui l’accompagnait partout. Nous étions au moins cent cinquante à deux cents cavaliers, lorsque, passant sur une petite place nommée Campetto, le général en chef s’arrêta pour parler à un officier qui revenait du port, et comme chacun se pressait autour de lui, un cri se fait entendre : « Gare la bombe ! »

Tous les yeux se portent en l’air, et l’on voit un énorme bloc de fer rouge prêt à tomber sur ce groupe d’hommes et de chevaux resserrés dans un très petit espace. Je me trouvais placé le long du mur du grand hôtel dont la porte était surmontée d’un balcon de marbre. Je pousse mon cheval dessous, et plusieurs de mes voisins firent de même ; mais ce fut précisément sur le balcon que tomba la bombe. Elle le réduisit en morceaux, puis rebondissant sur le pavé, elle éclata avec un bruit affreux au milieu de la place qu’elle éclaira momentanément de ses lugubres flammes, auxquelles succéda la plus complète obscurité… On s’attendait à de grandes pertes ; le plus profond silence régnait. Il fut interrompu par la voix du général Masséna qui deman-