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Page:Mémoires du Baron de Marbot - tome 1.djvu/143

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RETOUR EN FRANCE.

était de son devoir de me ramener dans les bras de ma mère, et je fus obligé de subir sa compagnie jusqu’à Paris, où nous nous rendîmes par la malle-poste.

Il est des scènes que les gens de cœur comprennent et qu’il est impossible de décrire. Je ne chercherai donc pas à peindre ce qu’eut de déchirant ma première entrevue avec ma mère désolée et mes deux frères : vous pouvez vous en faire une idée !

Adolphe ne se trouvait pas à Paris, il était à Rennes auprès de Bernadotte, général en chef de l’armée de l’Ouest. Ma mère possédait une assez jolie maison de campagne à Carrière, auprès de la forêt de Saint-Germain. J’y passai deux mois avec elle, mon oncle de Canrobert, revenu d’émigration, et un vieux chevalier de Malte, M. d’Estresse, ancien ami de mon père. Mes jeunes frères, M. Gault, venaient se joindre à nous quelquefois, et malgré les prévenances et les témoignages d’attachement que tous me prodiguaient, je tombai dans une sombre mélancolie, et ma santé n’était plus bonne. J’avais tant souffert moralement et physiquement !… Je devins incapable d’aucun travail. La lecture, que j’ai toujours tant aimée, me devint insupportable. Je passais une grande partie de la journée seul, dans la forêt, où je me couchais sous l’ombrage et me plongeais dans de bien tristes réflexions !… Le soir, j’accompagnais ma mère, mon oncle et le vieux chevalier dans leur promenade habituelle sur les bords de la Seine, mais je ne prenais que fort peu de part à leur conversation et leur cachais mes tristes pensées, qui se reportaient toujours sur mon malheureux père, mourant faute de soins !… Bien que mon état alarmât ma mère, Canrobert et M. d’Estresse, ils eurent le bon esprit de ne pas l’aggraver par des observations qui ne font qu’irriter une âme malade, mais ils cherchèrent à éloigner insensiblement les tristes souvenirs qui déchiraient