Aller au contenu

Page:Mémoires du Baron de Marbot - tome 1.djvu/156

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
136
MÉMOIRES DU GÉNÉRAL DE MARBOT.

Cadix, sa femme et sa fille. Un prieur de Bénédictins de l’Université de Salamanque complétait le chargement.

Tout devait être nouveau pour moi dans ce voyage. D’abord l’attelage, qui m’étonna beaucoup. Il se composait de six mules superbes dont, à mon grand étonnement, les deux du timon étaient les seules qui eussent des brides et des rênes ; les quatre autres allaient en liberté, guidées par la voix du voiturier et de son zagal, ou garçon d’attelage. Le premier, perché magistralement sur un énorme siège, donnait gravement ses ordres au zagal, qui, leste comme un écureuil, faisait quelquefois plus d’une lieue à pied en courant à côté des mules allant au grand trot ; puis, en un clin d'œil, il grimpait sur le siège à côté de son maître, pour redescendre et remonter encore, et cela vingt fois pendant la journée, tournant autour de la voiture et de l’attelage pour s’assurer que rien n’était dérangé, et faisant ce manège en chantant continuellement, afin d’encourager ses mules, qu’il appelait chacune par son nom ; mais il ne les frappait jamais, sa voix suffisait pour ranimer celle des mules qui ralentissait son train.

Les manœuvres et surtout les chants de cet homme m’amusaient beaucoup. Je prenais aussi un vif intérêt à ce qui se disait dans la voiture, car, bien que je ne parlasse pas espagnol, ce que je savais de latin et d’italien me mettait à même de comprendre mes compagnons de voyage, auxquels je répondais en français. Ils l’entendaient passablement. Les cinq Espagnols, même les deux dames et le moine, allumèrent bientôt leurs cigares. Quel dommage que je n’eusse pas encore l’habitude de fumer ! Nous étions tous de belle humeur. Don Raphaël, les dames et même le gros Bénédictin chantaient en chœur. Nous partions ordinairement le matin. On s’arrê-