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Page:Mémoires du Baron de Marbot - tome 1.djvu/155

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DE BREST A SALAMANQUE.

À l’époque dont je parle, les chevaux de trait étaient inconnus en Espagne, où toutes les voitures, même celles du Roi, étaient traînées par des mules. Les diligences n’existaient pas, et il n’y avait dans les postes que des chevaux de selle, de sorte que les plus grands seigneurs, ayant des voitures à eux, étaient forcés, lorsqu’ils voyageaient, de louer des mules de trait et de marcher à petites journées. Les voyageurs aisés prenaient des voiturins qui ne faisaient que dix lieues par jour. Les gens du peuple se joignaient à des caravanes d'âniers qui transportaient les bagages à l’instar de nos rouliers, mais personne ne marchait isolément, tant à cause des voleurs que par le mépris qu’inspirait cette dernière manière de voyager. Après notre arrivée à Bayonne, don Raphaël, étant devenu le directeur de notre voyage, me dit que, n’étant ni assez grands seigneurs pour louer pour nous seuls une voiture avec attelage de mules, ni assez gueux pour aller avec les âniers, il nous restait à choisir de courir la poste à franc étrier ou de prendre place dans un voiturin. Le franc étrier, dont j’ai depuis tant fait usage, ne pouvait me convenir par l’impossibilité de pouvoir porter nos effets avec nous ; il fut donc arrêté que nous irions par le voiturin.

Don Raphaël traita avec un individu qui, moyennant 800 francs par tête, s’engagea à nous transporter à Salamanque, en nous logeant et nourrissant à ses frais. Je trouvais cela bien cher, car c’était le double de ce qu’un pareil voyage eût coûté en France, et puis je venais de dépenser beaucoup d’argent pour me rendre à Bayonne. Mais c’était le prix, et il n’y avait pas moyen de faire autrement pour rejoindre mon nouveau régiment. J’acceptai donc.

Nous partîmes dans un immense et vieux carrosse, dont trois places étaient occupées par un habitant de