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Page:Mémoires du Baron de Marbot - tome 1.djvu/164

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MÉMOIRES DU GÉNÉRAL DE MARBOT.

louse. J’étais vêtu à la légère, n’ayant d’autre charge que mon sabre porté sur l’épaule ; je fis donc assez lestement la première étape, et allai coucher à Peyrehorade.

Le lendemain, jour néfaste, je devais aller à Orthez, et j’avais déjà parcouru la moitié de l’étape, lorsque je fus assailli par l’un de ces orages épouvantables qu’on ne voit que dans le Midi. La pluie mêlée de grêle tombait vraiment à torrents et me fouettait la figure. La grande route, déjà mauvaise, devint un bourbier dans lequel j’avais toutes les peines du monde à marcher avec des bottes éperonnées. Le tonnerre abattit un noyer près de moi,… n’importe, j’avançais toujours avec une stoïque résignation. Mais voilà qu’au milieu des éclairs et de la tourmente, j’aperçois venir à moi deux gendarmes à cheval. Vous pouvez aisément vous figurer quelle mine j’avais, après avoir pataugé pendant deux heures dans la boue, avec mon pantalon et mon dolman de nankin !…

Les gendarmes appartenaient à la brigade de Peyrehorade, où ils retournaient ; mais il paraît qu’ils avaient bien déjeuné à Orthez, car ils paraissaient passablement gris. Le plus âgé me demanda mes papiers. Je remets ma feuille de route sur laquelle j’étais désigné comme sous-lieutenant au 25e de chasseurs à cheval. « Toi, sous-lieutenant ! s’écrie le gendarme, tu es trop jeune pour être déjà officier ! ― Mais lisez donc le signalement, et vous verrez qu’il porte que je n’ai pas encore vingt ans ; d’ailleurs, il est exact de tous points. ― C’est possible, mais tu l’as fait fabriquer, et la preuve, c’est que l’uniforme des chasseurs est vert et que tu as un dolman jaune ! Tu es un conscrit réfractaire, et je t’arrête ! ― Soit ; mais quand nous serons à Orthez, devant votre lieutenant, il me sera facile de prouver