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Page:Mémoires du Baron de Marbot - tome 1.djvu/171

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L’INSPECTEUR GÉNÉRAL BOURCIER.

manœuvres. Mais que vois-je alors ?… L’extrême rapidité des mouvements que nous venions de faire avait dérangé la symétrie de l’accessoire ajouté à la tenue du capitaine et du colonel. La fausse queue du cheval de celui-ci s’étant en partie détachée, le tronçon, composé d’un tampon de filasse, traînait presque à terre en forme de quenouille, tandis que les faux crins se trouvaient en l’air, à quelques pieds plus haut, et s’étalaient en éventail sur la croupe du cheval, lequel paraissait avoir une énorme queue de paon !

Quant aux faux mollets de M. B…, pressés par les quartiers de la selle, ils avaient glissé en avant sans qu’il s’en aperçût et se dessinaient en ronde bosse sur les os des jambes, ce qui produisait un effet des plus bizarres, pendant que le capitaine, se redressant fièrement sur son cheval, avait l’air de dire :

« Regardez-moi, voyez comme je suis beau ! »

On a fort peu de gravité à vingt ans ; la mienne ne put résister au grotesque spectacle que j’avais là sous les yeux, et, malgré la présence importante de trois généraux, je ne pus retenir un fou rire des plus éclatants. Je me tordais sur ma selle, je mordais la manche de mon dolman, rien n’y faisait ! Je riais, je riais à en avoir mal au côté. Alors l’inspecteur général, ignorant le motif de mon hilarité, me fait sortir des rangs pour me rendre aux arrêts forcés. J’obéis ; mais obligé de passer entre les chevaux du colonel et du capitaine, mes yeux se reportèrent malgré moi sur cette maudite queue, ainsi que sur ces mollets d’un nouveau genre, et me voilà repris d’un rire inextinguible que rien ne put arrêter… Les généraux durent croire que j’étais devenu fou ! Mais dès qu’ils furent partis, les officiers du régiment, s’approchant du colonel et du capitaine B…, surent bientôt à quoi s’en tenir, et rirent comme moi, mais du moins plus à leur aise.