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Page:Mémoires du Baron de Marbot - tome 1.djvu/203

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BIOGRAPHIE D’AUGEREAU.

l’honneur du régiment serait confiée. Il fut ce jour-là plus aveugle encore que de coutume, car il indiqua un sous-officier ayant cinq enfants : il s’appelait Donnadieu. Augereau fit observer qu’on n’aurait pas dû mettre parmi les billets celui qui portait le nom d’un père de famille, qu’il demandait donc à être substitué à son camarade. Donnadieu déclare que, puisque le sort l’a désigné, il marchera ; Augereau insiste ; enfin, ce combat de générosité est terminé par les membres de la réunion, qui acceptent la proposition d’Augereau. On apprend bientôt quel est le combattant choisi par les gendarmes, et il ne reste plus qu’à mettre les adversaires en présence, pour qu’un simulacre de querelle serve de motif à la rencontre.

L’adversaire d’Augereau était un homme terrible, tireur excellent et duelliste de profession, qui, pour peloter, en attendant partie, avait les jours précédents tué deux sergents des gardes françaises. Augereau, sans se laisser intimider par la réputation de ce spadassin, se rend au café où il savait qu’il devait venir, et en l’attendant, il s’assied à une table. Le gendarme entre, et dès qu’on lui a désigné le champion des carabiniers, il retrousse les basques de son habit, et va s’asseoir insolemment sur la table, le derrière à un pied de la figure d’Augereau. Celui-ci, qui prenait en ce moment une tasse de café bien chaud, entr’ouvre doucement l’échancrure, appelée ventouse, qui existait alors derrière les culottes de peau des cavaliers, et verse le liquide brûlant sur les fesses de l’impertinent gendarme… Celui-ci se retourne en fureur !… Voilà la querelle engagée, et l’on se rend sur le terrain, suivi d’une foule de carabiniers et de gendarmes. Pendant le trajet, le féroce gendarme, voulant railler celui dont il comptait faire sa victime, demande à Augereau d’un ton goguenard : « Voulez-vous