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Page:Mémoires du Baron de Marbot - tome 1.djvu/219

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LE DUC D’ENGHIEN.

fut conduite à rechercher en quels lieux se trouvaient tous les princes de la maison de Bourbon. Elle apprit que le duc d’Enghien, petit-fils du grand Condé, habitait depuis peu de temps à Ettenheim, petite ville située à quelques lieues du Rhin, dans le pays de Bade. Il n’a jamais été prouvé que le duc d’Enghien fût un des chefs de la conspiration, mais il est certain qu’il avait commis plusieurs fois l’imprudence de se rendre sur le territoire français. Quoi qu’il en soit, le premier Consul fit passer secrètement le Rhin, pendant la nuit, à un détachement de troupes, commandé par le général Ordener, qui se rendit à Ettenheim, d’où il enleva le duc d’Enghien. On le dirigea sur-le-champ sur Vincennes, où il fut jugé, condamné à mort et fusillé avant que le public eût appris son arrestation. Cette exécution fut généralement blâmée. On concevrait que si le prince eût été pris sur le territoire français, on lui eût appliqué la loi qui dans ce cas portait la peine de mort ; mais aller l’enlever au delà des frontières, en pays étranger, cela parut une violation inqualifiable du droit des gens.

Il sembla cependant que le premier Consul n’avait pas l’intention de faire exécuter le prince et ne voulait qu’effrayer le parti royaliste qui conspirait sa mort ; mais le général Savary, chef de la gendarmerie, s’étant rendu à Vincennes, s’empara du prince après l’arrêt prononcé, et, par un excès de zèle, il le fit fusiller, afin, dit-il, d’éviter au premier Consul la peine d’ordonner la mort du duc d’Enghien, ou le danger de laisser la vie à un ennemi aussi dangereux. Savary a depuis nié ce propos, mais il l’aurait cependant tenu, à ce que m’ont assuré des témoins auriculaires. Il n’est pas moins certain que Bonaparte blâma l’empressement de Savary ; mais le fait étant accompli, il dut en accepter les conséquences.