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Page:Mémoires du Baron de Marbot - tome 1.djvu/224

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MÉMOIRES DU GÉNÉRAL DE MARBOT.

du brick, qui, percé d’outre en outre par ce gros projectile, se remplit d’eau à l’instant, et coule majestueusement en présence de toute l’armée française. Celle-ci, enchantée de cet heureux présage, fit éclater les vivat les plus bruyants, tandis que la flotte anglaise s’éloignait à toutes voiles. L’Empereur félicita le caporal d’artillerie, et attacha la décoration à son habit.

Je participai aussi aux grâces distribuées ce jour-là. J’étais sous-lieutenant depuis cinq ans et demi, et j’avais fait plusieurs campagnes. L’Empereur, sur la demande du maréchal Augereau, me nomma lieutenant ; mais je crus un moment qu’il allait me refuser ce grade, car, se souvenant qu’un Marbot avait figuré comme aide de camp de Bernadotte dans la conspiration de Rennes, il fronça le sourcil, lorsque le maréchal lui parla pour moi, et me dit en me regardant fixement : « Est-ce vous qui… ? — Non, Sire ! ce n’est pas moi qui… ! lui répliquai-je vivement. — Oh ! tu es le bon, toi… celui de Gênes et de Marengo, je te fais lieutenant… » L’Empereur m’accorda aussi une place à l’École militaire de Fontainebleau, pour mon jeune frère Félix, et à dater de ce jour, il ne me confondit plus avec mon frère aîné, qui lui fut toujours très antipathique, bien qu’il n’eût rien fait pour mériter sa haine.

Les troupes du 7e corps n’étant pas réunies dans des camps, la présence du maréchal Augereau était fort peu utile à Brest ; aussi obtint-il l’autorisation de passer le reste de l’été, et de l’automne dans sa belle terre de la Houssaye, près Tournan, en Brie. Je crois même que l’Empereur préférait le savoir là qu’au fond de la Bretagne, à la tête d’une nombreuse armée. Au surplus, les appréciations de Napoléon, au sujet du peu de dévouement du maréchal Augereau, n’étaient nullement fondées, et provenaient des menées souterraines d’un général S…