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Page:Mémoires du Baron de Marbot - tome 1.djvu/226

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MÉMOIRES DU GÉNÉRAL DE MARBOT.

matin que les généraux veulent chasser S… comme espion. Le maréchal ajoute qu’il faut absolument qu’il envoie l’un de ses aides de camp, et qu’il vient me demander si je me sens en état de recommencer cette course à franc étrier, qu’il ne m’en donne pas l’ordre, s’en rapportant à moi pour décider si je le puis… J’avoue que s’il se fût agi d’une récompense, même d’un grade, j’aurais refusé la mission ; mais il était question d’être utile à l’ami de mon père, au maréchal qui m’avait accueilli avec tant de bienveillance ; je n’hésitai pas et déclarai que je partirais dans une heure. Seulement, ce qui m’inquiétait, c’était la crainte de ne pouvoir faire derechef trois cent vingt lieues à franc étrier, tant cette manière de voyager est fatigante. Je pris cependant l’habitude de m’arrêter deux heures sur vingt-quatre, et me jetais alors sur la paille dans l’écurie d’une maison de poste.

Il faisait une chaleur affreuse ; cependant j’allai à Brest et en revins sans accident, ayant ainsi fait dans le même mois six cent quarante lieues à franc étrier !… Mais j’eus au moins la satisfaction d’apprendre au maréchal que les généraux se borneraient à témoigner leur mépris à S…

Le général S…, déconsidéré, déserta en Angleterre, s’y maria, bien qu’il fût déjà marié, fut condamné aux galères pour bigamie, et, après s’être évadé et avoir erré vingt ans en Europe, il finit dans la misère.

À mon second retour de Brest, le bon maréchal Augereau redoubla de marques d’affection pour moi, et, pour m’en donner une nouvelle preuve, en me mettant en rapport direct avec l’Empereur, il me désigna au mois de septembre pour aller à Fontainebleau chercher et conduire au château de la Houssaye Napoléon, qui vint y passer vingt-quatre heures, en compagnie de