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Page:Mémoires du Baron de Marbot - tome 1.djvu/232

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MÉMOIRES DU GÉNÉRAL DE MARBOT.

ardemment désirés !… Félix fit donc des efforts surhumains pour résister à la douleur ; mais enfin ses forces s’épuisèrent, il tomba, on l’emporta mourant !…

Le général Bellavène écrivit durement à ma mère : « Si vous voulez voir votre fils, accourez promptement, car il n’a plus que quelques heures à vivre !… » Ma mère en fut plongée dans un désespoir si affreux qu’elle ne put aller à Fontainebleau, où je me rendis en poste sur-le-champ. À mon arrivée, j’appris que mon frère n’existait plus !… Le maréchal Augereau fut parfait pour nous dans cette circonstance douloureuse, et l’Empereur envoya le maréchal du palais Duroc faire un compliment de condoléances à ma mère.

Mais bientôt, un nouveau chagrin vint assiéger son cœur ; j’allais être forcé de m’éloigner d’elle, car la guerre venait d’éclater sur le continent : voici à quel sujet.

Au moment où l’Empereur avait le plus besoin d’être en paix avec les puissances continentales, afin de pouvoir exécuter son projet de descente en Angleterre, il réunit par un simple décret l’État de Gênes à la France. Cela servit merveilleusement les Anglais, qui profitèrent de cette décision pour effrayer tous les peuples du continent, auxquels ils représentèrent Napoléon comme aspirant à envahir l’Europe entière. La Russie et l’Autriche nous déclarèrent la guerre, et la Prusse, plus circonspecte, s’y prépara sans se prononcer encore. L’Empereur avait prévu sans doute ces hostilités, et le désir de les voir éclater l’avait peut-être porté à s’emparer de l’État de Gênes, car désespérant de voir Villeneuve se rendre maître pour quelques jours de la Manche, par la réunion de toutes les flottes de France et d’Espagne, il voulait qu’une guerre continentale le délivrât du ridicule que son projet de descente, annoncé depuis trois ans et jamais exécuté, aurait fini par jeter sur ses armes, en