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Page:Mémoires du Baron de Marbot - tome 1.djvu/231

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ÉPREUVES DE FAMILLE.

Mon frère Félix, entré à l’École militaire de Fontainebleau, était un peu myope ; aussi avait-il hésité à prendre la carrière militaire ; néanmoins, une fois décidé, il travailla avec une telle ardeur qu’il devint bientôt sergent-major, poste difficile à exercer dans une école. Les élèves, fort espiègles, avaient pris l’habitude d’enfouir sous les terres du remblai des redoutes qu’ils construisaient, les outils qu’on leur remettait pour leurs travaux. Le général Bellavène, directeur de l’École, homme très sévère, ordonna que les outils fussent donnés en compte aux sergents-majors, qui en deviendraient ainsi responsables.

Un jour qu’on était au travail, mon frère, voyant un élève enterrer une pioche, lui fit une observation à laquelle celui-ci répondit fort grossièrement, ajoutant que dans quelques jours ils sortiraient de l’École, et qu’alors, devenu l’égal de son ancien sergent-major, il lui demanderait raison de sa réprimande. Mon frère, indigné, déclara qu’il n’était pas nécessaire d’attendre si longtemps, et, faute d’épées, ils prirent des compas fixés au bout de bâtons. Jacqueminot, depuis lieutenant général, fut le témoin de Félix. La mauvaise vue de celui-ci lui donnait un désavantage marqué ; il blessa cependant son adversaire, mais il reçut un coup qui lui traversa le bras droit. Ses camarades le pansèrent en secret. Malheureusement, les sous-officiers sont tenus de porter l’arme dans la main droite, et la fatalité voulut que l’Empereur, étant venu à Fontainebleau, fît manœuvrer pendant plusieurs heures sous un soleil brûlant. Mon malheureux frère, obligé de courir sans cesse, en ayant le bras droit constamment tendu sous le poids d’un lourd fusil, fut accablé par la chaleur, et sa blessure se rouvrit !… Il aurait dû se retirer, en prétextant quelque indisposition ; mais il était devant l’Empereur, qui devait, à la fin de la séance, distribuer les brevets de sous-lieutenants, si