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Page:Mémoires du Baron de Marbot - tome 1.djvu/260

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MÉMOIRES DU GÉNÉRAL DE MARBOT.

leur présence le général d’Auersperg. Celui-ci arrive enfin ; il est sur le point d’ordonner le feu, bien que les grenadiers français entourent déjà les batteries et les bataillons autrichiens ; mais les deux maréchaux l’assurent qu’il y a un traité, dont la principale condition est que les Français occuperont les ponts. Le malheureux général, craignant de se compromettre en versant du sang inutilement, perd la tête au point de s’éloigner en emmenant toutes ses troupes qu’on lui avait données pour défendre les ponts !…

Sans la faute du général d’Auersperg, le passage du Danube eût certainement été exécuté avec beaucoup de difficultés. Il pouvait même se faire qu’il devînt impraticable, et dans ce cas l’empereur Napoléon, ne pouvant plus poursuivre les armées russes et autrichiennes en Moravie, eût manqué sa campagne. Il en eut alors la conviction, qui fut confirmée trois ans après, lorsqu’en 1809, les Autrichiens ayant brûlé les ponts du Danube, nous fûmes contraints, pour assurer le passage de ce fleuve, de livrer les deux batailles d’Essling et de Wagram qui nous coûtèrent plus de trente mille hommes, tandis qu’en 1805 les maréchaux Lannes et Murat enlevèrent les ponts sans avoir un seul blessé !… Mais le stratagème dont ils s’étaient servi était-il admissible ? Je ne le pense pas. Je sais que dans les guerres d’État à État on élargit sa conscience, sous prétexte que tout ce qui assure la victoire peut être employé afin de diminuer les pertes d’hommes, tout en donnant de grands avantages à son pays. Cependant, malgré ces graves considérations, je ne pense pas que l’on doive approuver le moyen employé pour s’emparer du pont de Spitz ; quant à moi, je ne voudrais pas le faire en pareille circonstance.

Pour conclusion de cet épisode, je dirai que la crédulité du général Auersperg fut très sévèrement punie.