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Page:Mémoires du Baron de Marbot - tome 1.djvu/266

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MÉMOIRES DU GÉNÉRAL DE MARBOT.

nous prévint que des chevaux seraient mis à notre disposition, et nous invita pour le temps de notre séjour à la table qu’il présidait.

La grande armée française était alors massée autour et en avant de Brünn. L’avant-garde des Austro-Russes occupait Austerlitz ; le gros de leur armée était placé autour de la ville d’Olmütz, où s’étaient réunis l’empereur Alexandre et l’empereur d’Autriche. Une bataille paraissait inévitable, mais on comprenait si bien de part et d’autre que ses résultats auraient une influence immense sur les destinées de l’Europe, que chacun hésitait à entreprendre quelque chose de décisif. Aussi Napoléon, ordinairement si prompt dans ses mouvements, resta-t-il onze jours à Brünn, avant d’attaquer sérieusement. Il est vrai que chaque journée de retard augmentait ses forces, par l’arrivée successive d’un très grand nombre de soldats qui, restés en arrière pour cause d’indisposition ou de fatigue, se hâtaient, dès qu’ils retrouvaient leur vigueur, de rejoindre l’armée, tant ils étaient désireux d’assister à la grande bataille que l’on prévoyait. Ceci me rappelle que je fis à cette occasion un mensonge de complaisance, qui aurait pu ruiner ma carrière militaire ; voici le fait.

L’Empereur traitait habituellement les officiers avec bonté, mais il était un point sur lequel il était peut-être trop sévère, car il rendait les colonels responsables du maintien d’un grand nombre d’hommes dans les rangs de leur régiment, et comme c’est précisément ce qu’il y a de plus difficile à obtenir en campagne, c’était là-dessus que l’Empereur était le plus trompé. Les chefs de corps craignaient tant de lui déplaire, qu’ils s’exposaient à ce qu’on leur donnât à combattre un nombre d’ennemis disproportionné à la force de leurs troupes, plutôt que d’avouer que les maladies, la fatigue et la nécessité