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Page:Mémoires du Baron de Marbot - tome 1.djvu/269

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MENSONGE DE COMPLAISANCE.

d’éviter au général Morland un fort grand désagrément, en cachant à l’Empereur l’affaiblissement de l’effectif du régiment. Je refusai positivement et continuai à compter. L’estimation de l’Empereur était fort exacte, car il n’y avait que huit cents et quelques chasseurs présents : il en manquait donc quatre cents.

Je partais pour aller faire mon rapport, lorsque le général Morland et le capitaine Fournier renouvelèrent leurs instances auprès de moi, en me faisant observer que la plus grande partie des hommes absents, étant restés en arrière pour différentes causes, rejoindraient sous peu, et que, comme il était probable que l’Empereur ne livrerait pas bataille avant d’avoir fait venir les divisions Friant et Gudin, qui se trouvaient encore aux portes de Vienne, à trente-six lieues de nous, cela prendrait plusieurs jours, pendant lesquels les chasseurs de la garde restés en arrière rejoindraient l’étendard. Ils ajoutèrent que l’Empereur était d’ailleurs trop occupé pour vérifier le rapport que j’allais lui faire. Je ne me dissimulai pas qu’on me demandait de tromper l’Empereur, ce qui était très mal ; mais je sentais aussi que je devais beaucoup de reconnaissance à M. Fournier pour les soins vraiment affectueux qu’il avait donnés à mon père mourant. Je me laissai donc entraîner et promis de dissimuler une grande partie de la vérité.

À peine fus-je seul, que je compris l’énormité de ma faute ; mais il était trop tard… L’essentiel était de m’en tirer le moins mal possible. Pour cela, je me gardai bien de reparaître devant l’Empereur tant qu’il fut à cheval, car j’avais à craindre qu’il ne se portât au bivouac de chasseurs, dont la faiblesse numérique, le frappant derechef, démentirait mon rapport, ce qui m’aurait très gravement compromis. Je rusai donc, et ne revins au quartier impérial qu’à la nuit close, et lorsque