Aller au contenu

Page:Mémoires du Baron de Marbot - tome 1.djvu/270

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
250
MÉMOIRES DU GÉNÉRAL DE MARBOT.

Napoléon, ayant mis pied à terre, était rentré dans ses appartements. Introduit auprès de lui pour lui rendre compte de ma mission, je le trouvai étendu tout de son long sur une immense carte posée sur le plancher. Dès qu’il m’aperçut, il s’écria : « Eh bien ! Marbot, combien y a-t-il de chasseurs à cheval présents dans ma garde ? Leur nombre est-il de douze cents, comme le prétend Morland ? » — « Non, Sire, je n’en ai compté que onze cent vingt, c’est-à-dire quatre-vingts de moins ! » — « J’étais bien sûr qu’il en manquait beaucoup !… » Le ton dont l’Empereur prononça ces dernières paroles prouva qu’il s’attendait à un déficit beaucoup plus considérable ; et en effet, s’il n’eût manqué que quatre-vingts hommes sur un régiment de douze cents qui venait de faire cinq cents lieues en hiver, en couchant presque toutes les nuits au bivouac, c’eût été fort peu ; aussi lorsqu’en allant dîner, l’Empereur traversa la pièce où se réunissaient les chefs de la garde, il se borna à dire à Morland : « Vous voyez bien !… il vous manque quatre-vingts chasseurs ; c’est près d’un escadron !… Avec quatre-vingts de ces braves, on arrêterait un régiment russe ! Il faut tenir la main à ce que les hommes ne restent pas en arrière. » Puis, passant au chef des grenadiers à pied, dont l’effectif des soldats présents était aussi beaucoup diminué, Napoléon lui fit une forte réprimande. Morland, s’estimant très heureux d’en être quitte pour quelques observations, s’approcha de moi, dès que l’Empereur fut à table, vint me remercier vivement, et m’apprendre qu’une trentaine de chasseurs venaient de rejoindre, et qu’un courrier arrivant de Vienne en avait rencontré plus de cent entre Znaïm et Brünn et beaucoup d’autres en deçà d’Hollabrünn, ce qui donnait la certitude qu’avant quarante-huit heures le régiment aurait récupéré la plus grande partie de ses pertes. Je le désirais