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Page:Mémoires du Baron de Marbot - tome 1.djvu/289

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L’ÉTANG DE SATSCHAN.

demanda en riant comment nous avions trouvé le bain…

Quant au sous-officier russe, l’Empereur, après l’avoir fait panser par le docteur Larrey, lui fit donner plusieurs pièces d’or. On le fit manger, on le couvrit de vêtements secs, et, après l’avoir enveloppé de couvertures bien chaudes, on le déposa dans une des maisons de Telnitz qui servait d’ambulance ; puis, le lendemain, il fut transporté à l’hôpital de Brünn. Ce pauvre garçon bénissait l’Empereur, ainsi que M. Roumestain et moi, dont il voulait baiser la main. Il était Lithuanien, c’est-à-dire né dans une province de l’ancienne Pologne réunie à la Russie ; aussi, dès qu’il fut rétabli, il déclara qu’il ne voulait plus servir que l’empereur Napoléon. Il se joignit donc à nos blessés lorsqu’ils rentrèrent en France, et fut incorporé dans la légion polonaise ; enfin, il devint sous-officier aux lanciers de la garde, et chaque fois que je le rencontrais, il me témoignait sa reconnaissance dans un jargon fort expressif.

Le bain glacial que j’avais pris, et les efforts véritablement surhumains que j’avais dû faire pour sauver ce malheureux, auraient pu me coûter cher, si j’eusse été moins jeune et moins vigoureux ; car M. Roumestain, qui ne possédait pas le dernier de ces avantages au même degré, fut pris le soir même d’une fluxion de poitrine des plus violentes : on fut obligé de le transporter à l’hôpital de Brünn, où il passa plusieurs mois entre la vie et la mort. Il ne se rétablit même jamais complètement, et son état souffreteux lui fit quitter le service quelques années après. Quant à moi, bien que très affaibli, je me fis hisser à cheval dès que l’Empereur s’éloigna de l’étang pour gagner le château d’Austerlitz, où son quartier général venait d’être établi. Napoléon n’allait jamais qu’au galop ; brisé comme je l’étais, cette allure