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Page:Mémoires du Baron de Marbot - tome 1.djvu/29

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LE JOUR DE LA PEUR.

premier à se conformer à la loi. Les roturiers, qui attendaient pour se décider que mon père leur donnât l’exemple, ne voulurent plus rien payer, lorsqu’ils connurent sa renonciation aux rentes féodales qu’il possédait.

Peu de temps après, la France ayant été divisée en départements, mon père fut nommé administrateur de la Corrèze et, peu de temps après, membre de l’Assemblée législative.

Les trois frères de ma mère et presque toute la noblesse du pays n’avaient pas tardé à émigrer. La guerre paraissait imminente. Alors, pour engager tous les citoyens à s’armer, ou peut-être aussi pour savoir jusqu’à quel point il pouvait compter sur l’énergie des populations, le gouvernement, à un jour donné, fit répandre dans toutes les communes de France le bruit que les brigands, conduits par les émigrés, venaient pour détruire les nouvelles institutions. Le tocsin sonna sur toutes les églises, chacun s’arma de ce qu’il put trouver ; on organisa les gardes nationales ; le pays prit un aspect tout guerrier, et l’on attendait les prétendus brigands que, dans chaque commune, on disait être dans la commune voisine. Rien ne parut ; mais l’effet était produit : la France se trouvait sous les armes, et avait prouvé qu’elle était en état de se défendre.

Nous étions alors à la campagne, seuls avec ma mère. Cette alerte, qu’on nomma dans le pays le jour de la peur, m’étonna et m’aurait probablement alarmé, si je n’eusse vu ma mère assez calme. J’ai toujours pensé que mon père, connaissant sa discrétion, l’avait prévenue de ce qui devait arriver.

Tout se passa d’abord sans excès de la part des paysans, qui, dans nos contrées, avaient conservé un grand respect pour les anciennes familles ; mais, bientôt