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Page:Mémoires du Baron de Marbot - tome 1.djvu/296

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MÉMOIRES DU GÉNÉRAL DE MARBOT.

le point de départ de toutes les fausses nouvelles qui circulaient en Allemagne contre nous. Aussi, le lendemain de la bataille d’Austerlitz, et lorsque le bruit se répandit qu’il y avait eu un engagement dont on ne savait pas le résultat, les habitants de Francfort assuraient que les Russes étaient vainqueurs ; plusieurs journaux poussèrent même la haine jusqu’à dire que les désastres de notre armée avaient été si grands que pas un seul Français n’en avait échappé !… L’Empereur, auquel on rendait compte de tout, dissimula jusqu’au moment où, prévoyant la possibilité d’une rupture avec la Prusse, il rapprocha insensiblement ses armées des frontières de ce royaume. Voulant alors punir l’impertinence des Francfortois, il ordonna au maréchal Augereau de quitter à l’improviste Darmstadt et d’aller s’établir avec tout son corps d’armée dans Francfort et sur son territoire.

L’ordre de l’Empereur portait que la ville devait, le jour de l’entrée de nos troupes, donner comme bienvenue un louis d’or à chaque soldat, deux aux caporaux, trois aux sergents, dix aux sous-lieutenants et ainsi de suite !… Les habitants devaient, en outre, loger, nourrir la troupe et payer pour frais de table, savoir : au maréchal six cents francs par jour, aux généraux de division quatre cents, aux généraux de brigade deux cents, aux colonels cent : le Sénat était tenu d’envoyer tous les mois un million de francs au Trésor impérial à Paris.

Les autorités de Francfort, épouvantées d’une contribution aussi exorbitante, coururent chez l’envoyé de France ; mais celui-ci, auquel Napoléon avait donné des instructions, leur répondit : « Vous prétendiez que pas un seul Français n’avait échappé au fer des Russes ; l’empereur Napoléon a donc voulu vous mettre à même de compter ceux dont se compose un seul corps de la grande armée : il y en a six autres d’égale force, et la